Je sursautai et me réveillai en sueur a l'instant où les balles auraient dû m'abattre. Je regardai autour de moi, tremblante. Rien que ma sombre et terne cellule, pourtant si rassurante après ce cauchemar, qui m'avait semblé atrocement réel...
Le soleil n'était pas encore levé. Un silence de plomb régnait sur la prison, pourtant presque toujours animée de bruits divers. Dehors, le vent soufflait extrêmement fort. Je me levai et allai jeter un coup d'œil par la fenêtre. Des pétales de fleurs emportés par les bourrasques dansaient dans les airs. C'était beau. Très beau, même. Mais ce spectacle me plongea dans la nostalgie. Depuis combien de temps n'avais-je pas senti le moindre souffle d'air courir sur ma peau, m'ébouriffer les cheveux ? Depuis combien de temps n'avais-je pas senti la douce chaleur du soleil ou le froid de la glace me donner des frissons ? Depuis combien de temps n'avais-je pas ressenti un sentiment de liberté, aussi infime soit-il ?
Je ne savais pas exactement, mais cela faisait bien trop longtemps. Je me souvenais à peine de cette sensation que j'avais au toucher de la neige, de l'odeur de la mer, ou encore de la douleur d'un coup de soleil. Tout cela me semblait si loin, maintenant. Même les mauvais souvenirs commençaient à me manquer. J'en avais marre d'être enfermée là, de ne plus rien ressentir. J'avais l'impression d'être vide. Comme si la vie avait quitté mon corps, et que je n'étais plus que la triste enveloppe d'un passé heureux.
Je fus prise d'un accès de colère. Cela faisait des années que j'étais enfermée, et je ne savais même pas pourquoi ! C'était injuste. Et c'était surtout faible de la part de ceux qui m'avaient fait prisonnière. Ils n'avaient même pas le courage de m'expliquer.
C'est ce jour-là, alors que le soleil se levait à peine et qu'il commençait à y avoir de l'agitation un peu partout, que je pris une décision qui allait bouleverser le reste de ma vie.
J'avais décidé de les forcer à me dire. Tout. Pourquoi j'étais là, qui ils étaient, quel était leur intérêt à nous enfermer, et à nous tuer...
Je ne savais pas encore comment, mais je leur retirerais ces informations. Et ensuite je pourrais me venger, ensuite je pourrais trouver un moyen de les faire souffrir.
Mais il fallait d'abord que je sâche. Pour cela, il me fallait un plan.
C'est alors que mon regard se tourna vers la jeune fille qui dormait d'un sommeil agité à l'autre bout de la cellule. J'aurais besoin de son aide. Je ne sais pas ce qui m'a poussée à en être si sûre, mais au fond de moi je le savais. J'aurais besoin d'elle.
Alors que j'étais encore dans mes pensées, le gardien entra pour nous apporter à manger. Ma camarade de cellule se leva instantanément, les yeux brillants. Elle devait vraiment mourir de faim pour avoir envie de manger des choses pareilles. Cet appétit me révoltait.
Dès que le gardien eut refermé la porte, elle se jeta sur son repas avec quelque chose qui ressemblait presque à de la hargne.
Quant à moi, je mangeais sans grande conviction, avalant lentement quelques petits morceaux prélevés du bout de ma fourchette.
Lorsqu'elle eût fini, je la vis loucher sur mon assiette avec un air affamé. Prise d'un léger rire, je lui proposai de partager la fin de mon repas. Elle hésita un instant avant de bondir jusqu'à mon plat. Moins d'une minute plus tard, nos deux assiettes étaient entièrement vides. Il ne restait plus une seule miette de notre repas, à croire qu'il n'avait pas existé.
Alors que nous repoussions nos couverts, je finis par me risquer à lui demander :
-Tu viens d'où?
-Je ne sais pas, répondit-elle. Mais c'est loin d'ici. Et toi ?
-Pareil.
En effet, je n'avais aucune idée du nom de l'endroit où j'avais vécu mes années heureuses. Et puis, cette période était si loin maintenant...
-Tu sais pourquoi tu as été amenée ici ? demandai-je, pour ne pas tomber dans le chagrin provoqué par l'évocation de mon passé.
-Non. Ils sont venus me chercher un jour, je n'ai jamais pu savoir pourquoi...
-Exactement pareil pour moi.
-Qu'est-ce qu'ils nous veulent, à ton avis ?
-Je ne sais pas. J'aimerais bien le comprendre, justement...
-Moi aussi, mais comment ?
-Je... Je sais pas trop, encore.
Soudain, un demi-sourire se forma sur son visage, mais il s'éteignit aussitôt.
-Ils m'ont fait du mal, murmura-t-elle, le regard fuyant.
-Moi aussi.
-Beaucoup de mal.
-Je sais.
-J'ai souffert plus qu'il ne me semblait possible de souffrir.
-J'ai pensé plusieurs fois que toute la souffrance du monde avait été condensée, réunie en moi.
-Ils ont assassiné ma famille.
-Et mes amis. Sous mes yeux.
-Je ne sais pas pourquoi.
-Mais ce que je sais, c'est que je me vengerai.
-J'ai décidé de sortir, et de leur faire payer.
-Ils souffriront tous autant que moi.
-Ils comprendront enfin ma haine et ma douleur.
-Ils se noieront dans un bain de sang et de larmes amères.
-Car je souffre toujours.
-Ils ont laissé la plaie grande ouverte.
-Et le sang coule encore à flots en moi.
-J'ai mal.
-Je sais.
Et puis plus rien. Le silence. Lourd, plein de souvenirs et de regrets, plein de rage et de larmes.
Longuement, nous nous regardâmes dans les yeux.
Elle aussi. Elle aussi avait vécu les mêmes souffrances que moi. Mais elle venait d'arriver. Elle n'avait pas connu l'attente. Cette souffrance de plus, celle qui me donnait ce regard si vague, si lointain. Je l'avais deviné.
Par contre, elle avait connu la fuite, la peur, la faim, le froid, l'incertitude, puis de nouveau la capture. Plus violente, cette fois. Et le retour en prison. Cette prison qu'elle avait fuie, au péril de sa vie. Elle avait connu les représailles, elle avait connu les larmes et la rage de l'échec.
Oui, tout cela elle l'avait connu, et pas moi.
Mais maintenant, comme moi, tout son être était tourné vers ce seul et unique désir de vengeance.
Elle était de mon côté.
Enfin, dans cette bataille où j'avais si longtemps cru devoir être seule contre tous, j'avais une alliée.
Malgré toute ma souffrance, malgré toute ma rage, pour la première fois depuis bien longtemps, j'étais heureuse, au moins un tout petit peu. Elle était de mon côté.
Je clignai des yeux un instant, j'avais presque le sourire.
Mais tout d'un coup, un doute me frappa tel un coup de fouet.
Pourquoi, alors qu'ils savaient sûrement ce que nous avions vécu, qui était assez similaire, nous avaient-ils mis ensemble ? Ils poursuivaient un but, c'était certain.
Et si cette cellule était tapissée de caméras et de micros ? Et si tout ce que l'on avait dit et fait n'était en réalité qu'une partie infime de leur plan ? Une partie toute calculée ?
J'avais la tête qui tournait et une migraine affreuse. Je ne sais pas trop si je m'endormis ou si je perdis connaissance, mais je m'effondrai sur mon matelas.
![](https://img.wattpad.com/cover/52010831-288-k923911.jpg)
VOUS LISEZ
Effacée
Fiksi UmumElle ne sait pas vraiment qui elle est. Elle ne sait pas ce qu'elle fait là. Mais elle sait qu'elle se vengera. Car ils lui ont tout pris. Même ce qu'on n'a pas le droit de prendre.