En ce matin de printemps, c'est la lumière du soleil, qui entrait dans ma cellule par une pauvre vitre plantée au milieu de l'un des murs, qui me réveilla. Aujourd'hui, cela faisait six ans jour pour jour que j'avais été arrêtée.
Le gardien qui m'apportait habituellement mes repas était en retard pour le petit déjeuner. Cela arrivait régulièrement, et je ne m'en étonnai pas. Mais cette fois, il arriva avec quelqu'un. C'était une jeune fille blonde à l'air maussade, âgée d'un ou deux ans de plus que moi. Le gardien m'apprît qu'elle partagerait ma cellule, ce qui eut pour résultat de me surprendre, étant donné que j'avais jusque-là toujours été seule dans mes prisons.
Une fois qu'il eut refermé la porte, me laissant seule avec la nouvelle arrivante ainsi que nos repas, je m'essayai à lui adresser la parole :
«Salut ! J'aimerais bien pouvoir me présenter, malheureusement j'ai peur que ce ne soit difficile étant donné que je n'ai pas de nom, à ma connaissance. En tout cas, ça fait six ans que je moisis seule ici, alors ça me fait plaisir d'avoir de la compagnie...»
Elle ne répondit pas. Mais elle me semblait si triste que je ne pus m'empêcher d'ajouter :
«Désolée... Tu viens sûrement d'arriver, non? Tu dois être bouleversée. Moi aussi, ils m'ont fait énormément de mal. Je te laisse tranquille, mais dis-moi si tu as besoin de quelque chose.»
Ma camarade leva les yeux vers moi, comme si elle venait de me remarquer. Elle me fixa un instant, avec une expression indéchiffrable, puis baissa à nouveau la tête. Elle était magnifique, mais la marque de la souffrance s'était imprimée sur son pâle visage. Celui-ci était encadré par une énorme masse de cheveux blond cendré, négligés, certes, mais dont la beauté restait indéniable. L'ensemble posé sur un charmant corps d'une finesse presque inquiétante, dont les os devaient être aussi épais que des arêtes de poisson. L'élégance meurtrie de ma nouvelle camarade lui donnait un charme mystérieux.
Prenant conscience tout d'un coup que cela faisait plusieurs minutes que mon regard ne la lâchait pas, je décidai d'éviter de la gêner davantage et me tournai vers le repas : un croûton de pain noirci et un verre d'eau pour chacune. Le festin auquel j'avais droit chaque matin depuis des mois. Ou, autrement dit, un plaisir.
Je ne touchai même pas à mon petit déjeuner. Je préférais encore mourir de faim. Et puis, je savais que j'aurais droit à une portion de soupe insipide mais à peu près mangeable au déjeuner.
Au contraire, ma nouvelle camarade de cellule avala son quignon de pain moisi avec un appétit impressionnant. Voyant que je ne mangeais pas le mien, elle osa même me jeter un regard interrogatif qui me suppliait de le lui donner, auquel je répondis par un léger hochement de tête accompagné d'un embryon de sourire. Son regard s'illumina et elle se jeta goulûment sur le morceau de pain rassis.
Pour avoir un appétit pareil, la jeune fille devait ne pas avoir mangé depuis des jours. Je lui lançai un regard plein de compassion alors qu'elle avalait ses dernières miettes.
Tout d'un coup, elle se mît à me fixer et prit la parole :
«Désolée de ne pas t'avoir répondu tout à l'heure. Je... Je n'ai pas parlé à grand monde ces derniers temps. En ce qui concerne mon nom... Toi, tu ne connais pas le tien. Tu ne t'en rends surement pas compte, mais c'est peut-être une chance. J'aimerais oublier le mien à tout jamais, si c'était possible. En ce qui concerne la prison, j'ai été soulagée que tu m'aies accueillie comme cela. C'est vraiment gentil de ta part. Et, merci pour le bout de pain.
- De rien ! L'accueil, c'est tout naturel, et le pain... Je ne sais même pas comment tu as fait pour le manger !
-Oh, tu sais, quand on a mangé de la terre pendant des mois... Ça, c'est un festin !»
Là, je ne savais plus du tout quoi répondre. Je me suis surtout sentie stupide comme jamais. Une larme roula sur ma joue. Ridicule. Qu'est-ce qui m'a pris de pleurer ? Je m'étais pourtant jurée que je ne le ferai plus jamais.
Pleurer, c'est complètement égocentrique, à part quand on pleure pour les autres, éventuellement.
Au bout de quelques minutes de pleurs silencieux, mes paupières se fermèrent et je plongeai dans un sommeil peuplé de créatures étranges.
*****
J'étais plongée dans l'obscurité. Je ne réussissais pas à discerner quoi que ce soit autour de moi. Je tournai sur moi-même, tous les sens en alerte, mais ne réussis pas à capter un seul son, une seule odeur, un seul mouvement, un seul bruit. Rien.
Malgré tout, peu à peu, mes yeux s'habituèrent à l'obscurité. Des créatures qui semblaient inachevées, comme si on en avait tracé le contour et qu'on n'avait jamais pris la peine de les colorier et de leur donner un nom, glissaient dans l'air. Elles grouillaient tout autour de moi sans jamais me toucher. Je les regardai, perplexe. Où pouvais-je bien être ? Pourquoi n'avais-je aucun souvenir de mon arrivée ?
Un tas de questions me trituraient le cerveau lorsque soudain le sol s'ouvrit sous mes pieds, et je tombai dans le vide.
Ma chute semblait infinie. Je tombais, tombais, sans jamais toucher le sol. Autour de moi glissaient toujours les mêmes créatures étranges. Et moi, je continuais de tomber, tomber, tomber...
Finalement, au bout d'une chute qui m'avait semblé interminable, je rebondis sur une matière tellement molle que je faillis ne même pas sentir que ma chute était freinée.
Alors que je reprenais mes esprits, encore troublée par ce qui venait de m'arriver, je me rendis compte que j'étais complètement encerclée.
Les hommes en blanc. Il y en avait partout. Ils me regardaient d'un air mauvais, fusil sur l'épaule. Leurs fusils étaient tous tournés vers le même point. Et ce point, c'était ... Je regardai tout autour de moi. Il n'y avait rien ! C'était bien moi qu'ils visaient !
-Que...?
-Vous avez transgressé les règles. Vous devez être éliminée dès que possible. Nous avons déjà trop attendu. La loi doit être appliquée, cracha l'un des hommes, qui semblait diriger les autres. En joue, ajouta-t-il à l'intention de ses coéquipiers.
Je ne comprenais plus rien. Je n'arrivais pas à réfléchir. Mes yeux se fermèrent et de grosses larmes roulèrent sur mes joues. Que se passait-il? Je me laissai tomber par terre. J'avais la tête qui tournait et mes oreilles me faisaient mal. J'entendis à peine le traître crier "Feu !" à ses camarades.
Se pouvait-il que ma fin soit réellement venue ? Je n'arrivais pas à y croire, et pourtant dans un instant minime trente balles de fusils devaient venir se loger dans mon occiput.

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Effacée
General FictionElle ne sait pas vraiment qui elle est. Elle ne sait pas ce qu'elle fait là. Mais elle sait qu'elle se vengera. Car ils lui ont tout pris. Même ce qu'on n'a pas le droit de prendre.