«Bref. Là, tu t'envoles, tu as une putain de sensation. Le genre de truc que tu sais parfaitement que c'est la première et la dernière fois que tu ressentiras. Le style qui donne envie de pleurer, à classer dans la catégorie des souvenirs inébranlables, ineffaçables, intouchables.
Personne te le volera, ce souvenir. Même un Alzheimer au dernier degré pourrait rien y faire.»
Ces paroles, cela faisait bien des années qu'elle me les avait dites. Et pourtant chacun de ses mots étaient gravés à jamais dans ma mémoire.C'était un matin printanier. Le jour tant attendu était enfin arrivé. Je comptais maintenant les heures, les minutes, les secondes même.
Mais les imprévus arrivent toujours au mauvais moment. Je l'ai su ce jour-là. Car ces quelques instants, que j'avais espérés, attendus pendant tant d'années, ne se sont jamais passés. Et je sais aujourd'hui qu'ils n'arriveront jamais pour moi. Quant à elle, je ne la reverrai jamais non plus. Elle a disparu quelques jours après m'avoir confié son récit.
Quand les hommes vêtus de blanc sont arrivés, j'ai tout de suite compris. Mais je ne voulais pas y croire, et jusqu'au dernier instant j'ai espéré de tout mon être que j'avais tort. Mais non.
Ils ont détruit ma vie, tout ce que je possédais, tout ce que j'aimais ; ils m'ont détruite. Littéralement. J'ai perdu une à une toutes mes raisons de vivre. Et encore aujourd'hui j'ai parfois du mal à savoir pourquoi je suis encore là.
Vous qui avez assassiné mon âme sans aucune pitié, pourquoi ne m'avoir jamais achevée en détruisant mon corps?
Après mon arrestation particulièrement, j'aurais tout donné pour en finir. Mais je n'avais plus rien à donner.
Ils ont veillé sur moi de très près, m'empêchant de me donner la mort par quelque moyen que ce soit.
Je n'ai jamais compris ce qu'ils me voulaient. Ce qu'ils nous voulaient, à nous tous, car j'ai vite su que je n'étais pas la seule.Depuis ma tendre enfance, je l'entends, cette mise en garde : "attention aux hommes en blanc", ou encore "ne t'approche jamais d'eux", etc.
Mais quand ils nous en veulent, on ne peut plus se sauver, toute mise en garde devenant alors complètement inutile.
Durant toutes mes années de captivité, j'ai assisté à des choses plus qu'horribles par les baies vitrées qui entouraient certaines de mes cellules. C'est comme cela que j'ai su que, en quelque sorte, on pouvait dire que j'avais de la chance.
Mais quand la vie est aussi fade et insipide que la mienne, vidée de toute forme d'utilité, d'histoire ou de motivation, la chance, on n'en a vraiment rien à battre. On sait que même si l'on sort de notre cage, qu'elle soit de verre, de béton ou de fer, rien ne sera plus comme avant.
Et alors, qu'importe comment on vous traite ou ce que l'on vous dit, puisque plus rien ne compte à vos yeux.C'est un peu comme si mon taux de souffrance avait déjà atteint le maximum. Je ne ressens plus rien maintenant. Le chaud, le froid, l'espoir ou le désespoir, la joie, la tristesse ; tous ces mots ont perdu leur sens à mes yeux, et je crains fort qu'ils ne le retrouvent plus jamais.
Pourtant, il y a bien un mot dont je n'ai pas oublié le sens. Je crois même l'avoir enfin compris. Oui, je connais maintenant la soif de vengeance.
Pendant toutes ces années, oubliant peu à peu son envie de mourir, tout ce qui restait de mon âme blessée s'est tourné vers elle, et le désir de vengeance est devenu une partie de ce que je suis aujourd'hui.
Et tous les jours il grandit en moi, et la soif de sang et de souffrance envahit un peu plus mon être.Je ne suis plus qu'un robot, un robot sans maître et sans créateur, obnubilé par la même idée, mais qu'importe : je me vengerai.
Je ne sais pas encore quand ni comment, mais je le ferai. Je les regarderai souffrir, et je sourirai. Un sourire méchant, mais sincère. Cela ne me rendra pas ma vie d'avant, je le sais, mais une partie de moi en sera soulagée, rassérénée. Peut-être même arriverai-je à retrouver quelques émotions ensuite, qui sait ?
Je veux voir leurs visages se déformer en d'horribles rictus de douleur, leurs larmes couler, je veux les entendre hurler de désespoir.
Je veux les voir souffrir.
Oui, mes bourreaux souffriront.
Je sais aujourd'hui pourquoi je ne suis pas morte. Je ne mourrai pas avant de m'être vengée.
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Effacée
Ficción GeneralElle ne sait pas vraiment qui elle est. Elle ne sait pas ce qu'elle fait là. Mais elle sait qu'elle se vengera. Car ils lui ont tout pris. Même ce qu'on n'a pas le droit de prendre.