Chapitre I - Heavy is the cost

71 7 8
                                    

La nuit, des cauchemars te hantent, et ne disparaissent jamais. Toujours la même scène, le même lieu, la même personne. Quand tu te réveilles en sursaut, tu as les mains moites et tu es en sueur, ton cœur bat à tout rompre. Tu n'arrives pas à dominer cette peur, mais tu essaies encore et toujours, dans ces cauchemars, de prendre le contrôle et éviter ces coups de couteaux qui t'ont fait retrouver ici, à l'hôpital. En vain. Quand tu reviens dans le monde réel, tu regardes autour de toi, et tu vois toujours le visage de ton père ou de ta mère, qui te fixent intensément, sans rien dire. Ils ont compris ta frayeur. Le médecin dit que je ne prendrais pas longtemps à refaire confiance en l'espèce humaine. Il répète que c'est temporaire, et que ça passera très vite. Cependant, de jours en jours, ta peur ne décroît pas et reste constante. De plus, tu n'as toujours pas retrouvé ta voix ni le moyen de t'exprimer. Incapable de tenir un crayon, de voir un visage humain, et de parler, te voilà dans de beaux draps. Renfermée sur ta peur et ta frustration d'avoir survécue, tu ne fais aucun progrès de communication. Personne n'a encore parlé de ta sortie de l'hôpital. Parfois, la nuit, tu te lèves et t'assieds sur une chaise en attendant impatiemment que le soleil se lève, en attendant que les jours passent et se rapprochent de ta tant-attendue mort. L'été se rapproche et les journées deviennent plus longues. Tu te remémores la tête de ton petit frère, qui ne vient pas souvent. Du haut de ses dix ans, il est forcé à aller à l'école primaire et y passer ses journées. Tes médecins ont apparemment refusé les visites de tes "amis" par peur qu'ils t'effraient. 

Un jour, une infirmière te force à aller jouer dans la cour centrale avec d'autres enfants de ton âge. Tu te caches derrière une colonne, et tu attends patiemment qu'ils partent. Dans ta tête, tu les voies courir avec des couteaux aiguisés, le sourire aux lèvres. Ils te cherchent, ils vont te trouver et te tuer, forcément. Tu regardes de droite à gauche : aucune issue. Les portes sont fermées et au loin, une femme observe les enfants, te surveille. Aucun échappatoire, comme le soir du crime, tu n'as pas le choix, tu dois te battre, mais comme à chaque fois, tu recules devant cette épreuve. Tu es prête à tambouriner sur les portes afin que des gens t'ouvrent et te laissent retourner seule dans ta chambre à réfléchir. Mais impossible. Soudain, une main effleure ton épaule, tu te retournes et découvre le visage d'une humaine d'environ ton âge tout près du tien. Tu bondis en arrière et tente de crier, mais seuls des gémissements sortent de ta gorge, des bruits plaintifs suppliant l'humaine de t'épargner. Cette dernière fait un pas, tu recules d'un également. Tu sens les larmes brouiller ta vue et la panique te saisit, à nouveau. Tu te détournes et fuis, loin de cette créature diabolique qu'est l'homme. Fuir, le plus loin possible, ne pas regarder la haine dans sa yeux. Tu trébuches sur un pavé de la cour, et ta tête cogne violemment le sol. Tu entrouvres les yeux et aperçoit la silhouette se rapprocher de toi. Tu tends la main vers elle pour l'empêcher de te faire du mal, mais au lieu de t'achever, l'adolescente prend ta main et t'aide à te redresser. Ce geste fait tout bousculer dans ta tête ; face à l'humaine, tu es démunie et effrayée, mais surprise qu'elle t'ai aidée. Tu ne sens pas comment réagir et préfère rester prudente face à elle. Lorsque le médecin ouvre les portes à nouveau, tu te précipites dans ta chambre et ferme la porte. 

Toute la nuit, tu réfléchis. Tu te rappelles du visage de la jeune fille, dépourvu de mépris. Elle avait un regard chaleureux et tu sentais encore la chaleur de sa main dans la tienne. Cette personne différente des autres monstres te surprend. Tu n'arrêtes pas de te demander si tout cela est juste un piège ; il se pourrait que les humains attendent juste que tu reprennes confiance en eux pour t'achever d'un dernier coup de couteau dans ton dos. Mais le regard de l'adolescente semblait sincère, ses intentions bonnes, et son sourire compatissant. Tu es totalement perdue face à ce nouveau contact, ton premier depuis des semaines. Tu ne sais plus comment interpréter ce geste et restes plusieurs nuits à t'interroger. Un Jeudi matin, alors que tu étais assise comme toujours sur ta chaise, l'infirmière fait entrer la jeune fille. Celle-ci te sourit, mais tu te relèves immédiatement pour riposter, prête à parer son attaque. La femme ferme la porte, vous enfermant toutes les deux. Au début, l'humaine ne dit rien face à toi. Elle reste simplement debout à te fixer, toi qui t'agites en cherchant à comprendre quelles sont les motivations de ton ennemie. Cette dernière finit par ouvrir la bouche et à dire :

"Bonjour, Emma."

Ton prénom. Tu l'avais vaguement entendu par tes parents et les médecins, mais pas encore par une inconnue. Tu baisses les bras. La peur te quitte et un étrange sentiment de sérénité te prend, pour la première fois depuis l'incident. Elle ne ressent pas de la pitié, mais de la compassion, tu le sens. Tu n'oses pas sourire, et puis tu as oublié comment le faire. Mais tu avances doucement. Tu oublies cette image que tu avais d'elle, avec son couteau et du sang sur ses vêtements. Tu t'assieds en face d'elle, et la fixes longuement. Vous restez des heures sans rien dire, juste à vous regarder, avec de l'appréhension mêlée à de l'admiration à l'image de l'autre. L'infirmière revient quelques heures plus tard et lance à l'humaine :

"Amy, ta mère est arrivée. Allons-y."

Amy. C'est un prénom peu commun, du moins, tu ne l'as pas souvent entendu. Elle se lève et quitte la pièce. Avant de refermer la porte, elle te fait un signe de la main en guise d'au revoir, et tu fais de même. Pour la première fois depuis longtemps, tu sens ta peur diminuer.

Silent EscapeWhere stories live. Discover now