Prologue

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Elle va vivre mais elle va souffrir. « Elle va vivre mais elle va souffrir » dit discrètement le pédiatre à la sage-femme en pensant que les parents n'entendraient pas. C'est le troisième accouchement de Christine. Les deux précédents s'étaient passés sans incident, tout s'était déroulé parfaitement bien. Pour cette troisième fois où elle allait donner la vie, la jeune future maman ne présenta aucune angoisse particulière. Au contraire, elle était extrêmement sereine comme une certaine habitude qu'on ne redoute plus. Malheureusement, elle a entendu les mots du pédiatre et compris que quelque chose ne se présenta pas comme d'habitude, pas comme les deux autres précédentes naissances. La venue au monde de sa dernière petite fille ne sera pas aussi facile que les autres. Les contractions avaient commencées cinq heures plus tôt. A 00h05, sa mini-elle avait enfin pointée le bout de son nez. Mais aucun son ne sort de sa bouche, aucun cri. Le nouveau né ne bouge pas et présente une peau de couleur bleuâtre. Le bébé est emmené dans une pièce à côté la salle d'accouchement. Le pédiatre procède alors à une réanimation. La mère suppose la panoplie de soins de survie qu'on prodigue à son enfant. Elle ressent alors les quelques mètres qui la sépare de sa fille comme des millions de kilomètres. Quelques minutes plus tard, les médecins viennent enfin annoncer que le bébé a souffert d'un manque d'oxygène pendant la naissance qui a conduit à une réanimation. La petite devra être hospitalisée quelques temps pour recevoir les soins nécessaires. Le pédiatre est très optimiste. Il rassure Christine en lui disant que l'enfant se porte bien désormais, qu'il y a eu un petit moment d'alerte mais que tout est rentré dans l'ordre, qu'en normalement il n'y pas de risque futur. C'est bien le « en normalement » qui exaspère la mère car quand un médecin dit « en normalement », c'est qu'il n'est pas sûr, un doute subsiste.

Finalement, sept jours plus tard, Christine est autorisée à rentrer avec la petite chez elle. Les parents ne la quittent plus des yeux, ses deux grandes soeurs non plus. C'est une magnifique petite, avec des grands yeux bleus, un grand sourire d'un esprit fort qui, aussi petit qu'il soit encore, sait faire abstraction de la souffrance des ses premiers jours sur terre. Elle a reprit de bonnes couleurs et tout l'entourage a envie de la croquer tellement ils sont submergés par son sourire.

Six mois plus tard, les parents restent hanter par la phrase du pédiatre à la naissance d'Emmy : « Elle va vivre mais elle va souffrir ». Ils se sentent encore responsables de la détresse de leur fille à sa naissance. Au fond d'eux, ils éprouvent cette phrase comme une fatalité dans la vie de leur petite Emmy. Ces derniers mois on était particulièrement difficile pour James, le papa. Le grand sourire de sa fille a fait place à des pleurs incessants. Elle sourit beaucoup moins, attrape le moindre virus à la crèche et est constamment malade. Les parents sont inquiets mais elle ne présente pas plus de faiblesse que n'importe quels autres bébés nés en bonne condition. Le père ne voit plus sa fille autrement qu'en pleurs ou hurlement. A chaque contact, c'est soit l'un soit l'autre voire les deux. Avoir sa fille dans ses bras est devenu un moment redoutable.

James est né sous la grisaille écossaise. Il est arrivé en France à l'âge de huit ans quand son père avocat d'affaire a été recruté par un grand cabinet parisien. Petit, James, s'est vite adapté à la culture française et l'a apprécié. Il voyait enfin la vie en rose lui faisant un peu oublier le gris de son île natale. Toutefois, bien que se réjouissant de la joie de vivre à la française, au fond de lui, il portait toujours cette morosité qui l'a envahi lors de ces huit premières années. C'était comme une fatalité. Maintenant, à 36 ans, sa tristesse permanente s'exprime dans son pessimisme. Même dans le plus beau des moment, il est capable de trouver un élément négatif.

La phrase du pédiatre s'est ancrée dans la tête des parents. Entre l'angoisse maternel et fatalité paternel. « Elle va vivre mais elle va souffrir » est devenue la maxime de la vie d'Emmy.

Et alors ?!Où les histoires vivent. Découvrez maintenant