Chapitre 23 - J'accours mon amour...

18 0 0
                                    


Emmy vient d'arriver dans son studio de Nancy. Seule. Il n'y a plus personne à présent et même quand il y avait Gabin dans sa vie, la solitude la touchait. Pas de grand changement en soi. Une page se tourne, elle a enfin réussi à finir un chapitre alors qu'elle avait tant de mal à trouver la conclusion. La douleur n'en est pas moindre mais il y a tout de même un poids en moins.

Elle pense à Sam continuellement. L'attente d'un texto de sa part est insupportable et il aime bien se faire désirer. Ces messages se font parfois attendre des jours et des jours. « Ça fait parti du jeu » se dit-elle partagée entre le désir de recevoir un message ou d'en envoyer un en désespoir de cause. Sam est plus qu'un jeu désormais mais Emmy refuse de l'accepter. Elle n' a jamais perdu avec aucun homme. Tous les prétendants qu'elle a eu, tous ses flirts, tous ses semblants petits-amis, elle les a toujours manier comme elle le souhaitait. La victoire ne lui a jamais échappé. Le maître du jeu, c'est toujours elle ! Jolie petite bouille ne peut se résigner à avoir un adversaire plus fort qu'elle, qui d'ailleurs est maintenant plus qu'un adversaire à ses yeux.

Parfois, elle est heureuse de ressentir à vague aperçu de l'état amoureux. Emmy croit que le nouveau chapitre de son existence s'appelle Amour. Tantôt, l'idée d'un homme la répugne et la ramène à ses douleurs d'enfance. Les flashbacks des gestes de son grand-père paternel sur son corps refont surface. Elle ne se lève pas tous les matins en y pensant, ça ne la paralyse plus aussi souvent que ça a pu être la cas. Les séquelles sont quand même bien présentes, elle en a entièrement conscience mais ne l'admettra jamais à qui que ce soit. Elle s'est construit une forteresse de protection. L'homme doit être plus faible qu'elle, le pouvoir doit être entièrement détenu par elle. Dans ses conditions, la place pour l'amour est minime, voire inexistante. A 22 ans, Emmy n'a jamais su aimer. Avec Gabin, elle était bien, toutefois, lui dire « Je t'aime » était un supplice. Leur relation l'a emmené sur le chemin de la guérison mais le chemin est long et Emmy ne croit plus guère atteindre le bout un jour.

Elle se retrouve souvent dans un sentiment de confusion. C'est le cas ce soir. La solitude lui fait penser à son incapacité à aimer et à partager avec les autres. Emmy a lu une tonne de livres sur le sujet dans l'espoir de guérir de ses blessures mais à chaque fois, c'est juste un lamentable constat.

Elle se reconnaît quant les ouvrages dénoncent, chez les victimes d'abus sexuels, l'isolement, l'incapacité à être à l'écoute de ses émotions et de ses besoins, la perte de l'estime de soi, une vie sexuelle appauvrie ou hyper stimulée et délinquante, les sentiments de honte et de culpabilité, l'anxiété permanente, la colère, la dépression, l'impuissance, les réminiscences, l'automutilation, la consommation excessive d'alcool ou de drogues, les idées suicidaires, les difficultés de concentration, les troubles alimentaires, l'abstinence...

Toutes ces conséquences, elle les a vécu et les vis encore aujourd'hui. Avec l'âge, Emmy apprend à relativiser et à vivre avec mais elle reste convaincu qu'aucune véritable guérison n'est possible. Les agressions remontent à plus de 15 ans maintenant et les conséquences sont toujours là, elles se manifestent à divers moments.

Pendant de longues années, Emmy s'est refusée à tout contact avec une personne du sexe opposé. Puis à 16 ans, ce fût l'éveil d'une sexualité malsaine. En recherche permanente de multiples relations sexuelles, Emmy se prostitue auprès d'hommes bien plus âgés qu'elle. Encore mineure, elle demandera 30 euros pour une pipe, 60 euros pour une sodomie. Ses prestations trouveront souvent preneur auprès de cinquantenaires en mal de jeunesse. Cette période a duré 6 mois avant de repasser à une totale abstinence jusqu'à sa rencontre avec Gabin.

Depuis quelque temps, jolie petite bouille entend souvent parler de résilience. Ce terme est très médiatisé suite à la sortie d'un livre de Boris Cyrulnik traitant de ce sujet. Cette capacité que peuvent avoir des enfants à surmonter les plus insurmontables des traumatismes. La résilience, Emmy l'a en tête. Cette notion la fascine par l'espoir qu'elle suscite. Elle aussi veut croire comme Boris Cyrulnik que le malheur n'est pas une fatalité, rien n'est irréparablement écrit et qu'il y a toujours la possibilité de s'en sortir. Les mécanismes de la résilience se définissent par les moyens de défense internes mise en place pour faire face au pire adversité. Le plus connu est sans doute le déni qui nous aveugle d'une réalité dangereuse pour soi-même ou qui permet de banaliser la blessure. Emmy a connu ces mécanismes mais ce n'est pas pour autant qu'elle voit son avenir moins sombre. En farfouillant sue le net sur le sujet, elle découvre d'autres mécanismes tels que l'humour, l'abstraction ou la rêverie. La rêverie, elle sait bien faire ça, elle passe le plupart de son temps à rêver, encore plus depuis sa rencontre avec Sam. Sam est-il un rêve ? Sam est-il sa résilience ? 

Et alors ?!Où les histoires vivent. Découvrez maintenant