Chapitre 2 - L'échappement

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Quelques semaines plus tôt

Emmy a tout. Comme tout ces gens qui ont trop tout, tout vite. Tout lui échappe sans prévenir. C'est ce qui se passe quand tout arrive si rapidement, quand on est jeune, quand l'insouciance est encore au rendez-vous, quand on a encore l'espoir mêlé à un profond «  je m'en foutisme », quand la maturité ouvre ses premières portes et déclare une guerre en soi. Emmy a tout. Mais tout et rien se confondent tellement bien laissant place à la confusion.

Elle a 22 ans, ce 1er septembre 2012, s'apprêtant à commencer un nouveau chapitre, depuis quelque temps déjà pressenti, par son inconscient surgissant enfin vers son conscient. C'est aujourd'hui que commence ce nouveau chapitre, sans s'en rendre compte, délicatement il s'ouvre en douceur, pour ne pas s'apercevoir, soupçonner à seul instant qu'il s'avère être l'un des plus noirs mais qu'il faudra passer au travers.

*

3 septembre 2012

Tout est si doux malgré la difficulté énorme qui a percuté son couple. Emmy sait qu'elle doit tourner une page, et si elle ne veut pas se l'avouer, son inconscient est bien là pour ne pas lui faire oublier. C'est une journée maussade, grise qui laisse annoncer un hiver rude. Elle vient de se réveiller, elle se sent bien, finalement en étant pressée de démarrer cette nouvelle vie qui l'attend, elle pense que la douleur de ce changement ne durera que le temps de tourner la page comme celle d'un livre qu'on dévore. Un passage difficile mais inévitable, un passage douloureux mais court, un passage haï, mais surmontable. Et pourtant...

*

Emmy partageait depuis plus de quatre ans sa vie avec Gabin. Après une enfance de solitude, une adolescence qui en avait pris le même chemin. Elle s'était résignée à enfin accepter qu'elle ne pouvait plus rester des années et des années, seule. Elle la connaissait bien la solitude. Elle l'avait apprivoisé. Au final, c'est comme tout, on s'y habitue, on s'adapte malgré tout avec toutes les difficultés que ça comprend. Quand elle a rencontré Gabin, c'était à une soirée organisée par une de ses meilleures amies, elle n'y était pas vraiment conviée puisque qu'il s'agissait d'une soirée entre gens homogène appartenant à la même promotion d'ingénieur. Son amie, Axanne, grande sensible, qui aime par-dessous tout : faire du bien, aider, faire plaisir à ses amis, avait compris toute l'importance d'inviter Emmy à cette soirée. Cette promotion était en majorité composée de la gente masculine. C'est pourquoi, elle a insisté pour qu'Emmy vienne à cette soirée, dans l'espoir qu'elle trouve quelqu'un, qu'elle rompt enfin avec la solitude, qui même sans vouloir l'avouer, chacun sait que c'est quelque chose qui tue et qu'on finit tôt ou tard d'avoir bien du mal à la supporter.

Sans y croire, Emmy a finalement coupé les ponts avec cette solitude. Elle s'était allée à sa « première histoire » en laissant Gabin venir à elle. Il lui fallait du changement, arrêter toutes ces années qu'elle a passée seule. Avant de se rendre à la soirée, elle avait beaucoup pensé, à son enfance passée dans un petit village d'à peine 300 habitants, perdu en pleine campagne. Personne de son âge, une petite maison vide, où elle y trouvait rarement un soutien, un amour, un parent, juste le vide et le silence qu'elle essayait de rompre comme elle le pouvait, en hurlant pour voir qu'elle était bien vivante mais si personne ne la voyait, en mettant la radio à fond dans cette petite maison. Elle était sortie brusquement de ses pensées en se disant : « plus jamais ça » et s'était bien décidée à se rendre à cette soirée et de couper avec ce vide. C'est bien ce qu'elle avait fait.

Gabin n'était pas le jeune homme sur qui ont flashe, il n'était pas l'homme vers lequel tous les yeux se tournent. Il était pas vraiment beau, il n'avait pas vraiment de charme mais il était simple et gentil. D'une grande simplicité et d'une grande gentillesse. Et, quand on s'apprête à quitter une éternité de solitude, c'est deux qualitatifs sont amplement suffisants.

Alors quand il s'est mis à déployer toute sa simplicité et toute sa gentillesse dans la direction d'Emmy. Cela a été suffisant pour elle. Emmy s'est laissée prendre au jeu, elle a mis enfin, pour une fois, tout ce qui la hante, tout ce qui l'empêchait d'aller vers les hommes, dans un tout petit coin dans sa tête et a pris soin que, pour une fois, rien ne s'y échappe.

*

Elle prépare ses affaires dans son petit squat qu'elle habite depuis plusieurs années. Elle range tout, faisant tous les tiroirs, tous les placards, toutes les boîtes, se mémorant pleins de moments de ces dernières années passées auprès de Gabin. Ils n'ont jamais habité ensemble. Elle n'a pas entassé des souvenirs de leur couple chez elle, mais ils sont quand même présents malgré tout. Quand on veut ne jamais trop prendre, de peur de trop perdre. Peu importe la façon dont on se protège, tout se remplit de souvenirs tout de même. Un jour vient le jour, où il faut jeter tous ces souvenirs ou du moins en faire une abstraction pour avancer.

Aujourd'hui elle part, elle change de ville. C'est l'option qu'elle a trouvé pour passer à autre chose. Emmy n'a jamais fait grand-chose à l'école, alors qui l'aurait cru, qu'à 22 ans, elle rentre dans une bonne école, pas prestigieuse, ni grandement réputée, mais bonne école de management. La rage née de sa tristesse lui vient en faisant ces valises. Sa tristesse accumulée depuis des années alors qu'elle croyait enfin avoir été heureuse grâce à Gabin. Tout ce faux-semblant, voilà ce qu'il la met hors d'elle en ce moment. Avoir essayé, mais avoir échoué. Quelqu'un n'aurait-il pas pu lui faire comprendre que le bonheur ne vient pas de quelqu'un d'autre, mais bien de nous même. Ca lui aurait bien évité des désagréments.

Peu importe, si elle n'a jamais vraiment été amoureuse de lui, si elle a souffert de ne pas vivre une passion, si elle lui en veut d'avoir trop donné, si elle le déteste qu'il ne l'est jamais comprise, si elle l'envie de toutes les choses qu'il a et qu'elle n'arrive pas à avoir, si elle lui a caché l'essentiel d'elle-même, si elle est la seule responsable de sa chute. Elle a chuté.

« Tant pis ! Ce n'est pas grave ! » essaye t'elle de se convaincre avant que son élan de rage ne l'a reprenne : « - Mais putain quelle conne je suis d'avoir perdue des années avec un pauvre type, avec qui je savais qu'il ne se passerait jamais rien de grandiose, quelle conne je suis de m'y être attachée comme un cocaïné à son rail de coke. Pourquoi ai-je voulu y croire comme une petite fille croit à son prince charmant ? Pourquoi n'ai-je pas pu me contenter du peu qu'il pouvait me donner ? Pourquoi tout ce qu'il fait, tout ce qu'il dit, tout ce qu'il est me tape sur le système alors qu'il ne fait rien de mal ? Finalement, c'est qu'un pauvre con, il n'a jamais rien compris, le seul truc qu'il a pu percuter, c'est ses saloperies de jeux vidéos, rien d'autre. Il ignore toute la réalité, mais qu'il est con, ben voila je vais lui en faire une belle de réalité cette fois-ci, il va bien se la prendre en pleine face et ça sera de sa faute. Il faut bien qu'il soit aussi un peu responsable, qu'il morfle un peu, je ne peux pas être la seule fautive, il a bien un peu de culpabilité dans le fait que ça ne marche pas entre nous. Ce n'est pas possible autrement. Il a va comprendre ce que c'est la douleur, il va comprendre enfin ce qu'il n'a jamais compris. »

Et alors ?!Où les histoires vivent. Découvrez maintenant