chapitre 4

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Elle tourna vers lui ses yeux vagues, ses yeux vides, et ne répondit pas.
Il reprit :
– Che ne tolérerai bas d’insolence. Si fous ne fous levez pas de ponne volonté,
che trouverai pien un moyen de fous faire bromener toute seule.
Elle ne fit pas un geste, toujours immobile comme si elle ne l’eût pas vu. Il rageait,
prenant ce silence calme pour une marque de mépris suprême. Et il ajouta :
– Si vous n’êtes pas tescentue temain…
Puis, il sortit.
Le lendemain, la vieille bonne, éperdue8 la voulut habiller ; mais la folle se
mit à hurler en se débattant. L’officier monta bien vite ; et la servante, se jetant
à ses genoux, cria :
– Elle ne veut pas, Monsieur, elle ne veut pas. Pardonnez-lui ; elle est si mal-
heureuse.
Le soldat restait embarrassé, n’osant, malgré sa colère, la faire tirer du lit par
ses hommes. Mais soudain il se mit à rire et donna des ordres en allemand.
Et bientôt on vit sortir un détachement qui soutenait un matelas comme on
porte un blessé. Dans ce lit qu’on n’avait point défait, la folle, toujours silen-
cieuse, restait tranquille, indifférente aux événements, tant qu’on la laissait cou-
chée. Un homme par derrière portait un paquet de vêtements féminins.
Et l’officier prononça en se frottant les mains :
– Nous ferrons pien si vous poufez bas vous hapiller toute seule et faire une
bétite bromenate.
Puis on vit s’éloigner le cortège dans la direction de la forêt d’Imauville.
Deux heures plus tard les soldats revinrent tout seuls.
On ne revit plus la folle. Qu’en avaient-ils fait? Où l’avaient-ils portée? On ne
le sut jamais. La neige tombait maintenant jour et nuit, ensevelissant la plaine et les
bois sous un linceul9 de mousse glacée. Les loups venaient hurler jusqu’à nos portes.
La pensée de cette femme perdue me hantait ;
et je fis plusieurs démarches auprès de l’autorité
prussienne, afin d’obtenir des renseignements.
Je faillis être fusillé.

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