J'ai le sentiment d'avoir le gueule de bois.
J'ai le sentiment d'avoir la gueule de bois alors que je suis plus fraîche que d'habitude.
Hier, j'ai pris seulement une ou deux bières et depuis ce matin je suis bouleversée.
Et pour ne rien arranger, Ciprianna n'arrête pas de parler. Cela fait au moins 10 minutes qu'elle essaye de nous exposer en quoi trouver son fichu article de presse est un tournant décisif dans sa carrière. Comme si c'était la chose la plus importante au monde. Elle nous rabâche les oreilles avec son travail, les critiques, la postérité dans le monde du journalisme et de l'édition et pendant ce temps, Solen, Jerry et moi ruminons nos carrières ô combien réjouissantes.
Elle ne réalise pas qu'elle met toujours les pieds dans le plat avec ce sujet.
Mais je vois surtout qu'elle tente de détendre l'atmosphère. Ou du moins parler d'autre chose que la soirée d'hier.
Riley est une fille gentille. Elle l'a toujours été. Parfois trop même. Mais dans le fond , c'est dans son caractère et je ne vois pas pourquoi elle en changerait. Mais hier, j'ai découvert une autre facette de sa personnalité.
Je l'ai trouvée cruelle envers Jerry. Et envers nous toutes.
- "J'ai pensé opté pour un article qui n'a pas eu un franc succès et démontrer à quel point les critiques et leurs avis sont décisifs dans la prise de position d'une opinion et de sa popularité. "Pourquoi cracher sur Austen se justifie aujourd'hui" est un article subversif. On idolâtre ces auteurs anglais comme les sœurs Brontë parce qu'elles auraient libéré la femme d'un poids de soumission et de routine littéraire. On les considère comme des icônes féministes d'avant-garde, mais si elles étaient réellement des féministes d'avant-garde, elles en auraient fait plus pour la femme anglaise du XIXe siècle. Et c'est exactement ce qu'explique Dietriech - dans des termes très éloquents d'ailleurs. Mais les autres journalistes n'étaient pas près à entendre la vérité! Les critiques s'en sont données à cœur-joie puisque c'était la mode, à cet instant, de trouver tout ce qui est anglo-saxon absolument digne d'intérêt..."
Ciprianna est installée à côté de moi sur le siège passager, faisant de grands gestes pour appuyer ses propos et même si elles s'adressent à nous, elle est à des années lumière, dans sa propre bulle d'amoureux de la littérature pompeux.
Je la préfère bourrée.
Je jette un coup d'œil dans le rétroviseur: Jerry ne semble plus pouvoir supporter les babillages de Ciprianna et Solen, résignée, ses lunettes sur le nez, regarde le paysage défilée à travers la fenêtre.
-"... Pourquoi ne pas dire les choses franchement. Le monde de la publication est aussi corrompu que la sphère politique OU économique. Mais ils se complaisent dans la facilité, dans le cliché et personne ne fait plus aucun effort! Pourquoi s'engager dans cette voie-là si c'est pour tout détruire morceau par morceau?"
Nous sommes en route vers chez Riley. Elle n'a pas répondu à un seul de mes messages pendant la journée. Il faut à tout prix désamorcer la situation. Le week-end va commencer, on ne peut pas le débuter fâchées. En plus, Jerry se sent mieux, ce qui veut dire que la fête est assurée. J'ai juste deux rendez-vous samedi matin et un l'après-midi. Si je m'arrange pour faire le travail proprement, j'aurais ma soirée de libre et en avant la beuverie.
- "... Moi je dis qu'il faut faire le grand nettoyage dans le journal. La nouvelle génération peut apporter quelque chose de neuf et de révolutionnaire à cette bande de vieux mégots. A condition, bien sûr, que la jeune génération ne soit pas représentée par des pétasses du genre de Gabriella qui continuent de transmettre les mêmes idéaux sur les femmes qui veulent faire carrière. Gabriella! Réveille-toi! Dietriech n'est pas devenue ce monstre sacrée de la publication grâce aux robes moulantes et à des Louboutin!
- " Je pense qu'à l'époque où Dietriech avait l'âge de Gabriella, les Louboutin n'avaient pas la même popularité. Elle a sûrement dû y arriver grâce à une autre marque. Un truc d'un autre temps dont tout le monde s'en fout maintenant.", intervient Solen, les visages toujours tournées vers la route.
Ciprianna, coupée dans sa tirade éditoriale, se retourne vers l'arrière de la voiture, l'air ébahi.
- "Quoi?"
- "Je dis juste que ta madame Diectriech quand elle était plus jeune portait probablement le top de l'escarpin des années 70 ou 80 avant de devenir ta madame Dietriech toute vieille, acariâtre et imbue de sa personne . Et que ces escarpins l'ont sûrement aidé. La seule différence entre elle et cette Gabriella ou j'sais pas quoi, ce sont les Louboutin."
- "Amen, ma sœur", ajoute Jerry.
Ciprianna a les yeux grand ouverts. Si elles avaient été ses enfants, elle les aurait immédiatement renié
- "Comment oses-tu sous-entendre qu'elle ne serait pas là où elle est grâce à son talent?"
- "Je dis juste", répond Solen toujours impassible, "que tu peux être le modèle de la femme qui a réussi par son talent mais que tu peux utiliser les outils que tu as à ta disposition pour aller plus vite. Les hommes utilisent leurs relations, le léchage de cul et la testostérone. Les femmes utilisent leur cerveau et les Louboutin..."
- "Ou le top des escarpins des années 70 ou 80, continue Jerry.
- "Ou le top des escarpins des années 70 ou 80, confirme Solen.
Je sens bien qu'elles jouent avec les nerfs de Ciprianna. Probablement pour se venger du fait qu'elle la ramène toujours un peu trop.
- "Pour quelqu'un qui se dit féministe, je te trouve très réductrice, Solen.
- "Pour quelqu'un qui se dit féministe, je trouve très curieux que tu veuilles utiliser un article qui casse des auteurs féminins, féministes et plutôt cools juste pour ne pas faire comme tout le monde, Ciprianna.
Cette dernière s'apprête à répliquer, marque une pause puis se ravise. Elle se retourne et fixe la route sans rien dire pendant le reste du trajet.
Enfin en paix.
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Dans la tête des filles
Genç Kız EdebiyatıC'est l'histoire de cinq amies. Nous dirons qu'elles ont entre 20 et 25 ans. Ou pas d'ailleurs. Donnez-leur l'âge qu'il vous plaît.Elles sont jeunes, ont la vie devant elles et comptent bien en profiter. Ces amies, pourtant inséparables, seront conf...