[média : Néo]
Les mots m'échappent lorsque que je veux parler de lui, Néo.
Il m'a dit la dernière fois que je lui appartenais. Sur le moment, mon corps entier s'était mis à flageller. J'étais complétement pétrifié par deux mots. Ne sachant pas quoi répondre devant cette initiative des plus osées, je me suis fait la malle. Il a tenté de me retenir, mais s'il l'avait vraiment fait, les étudiants auraient trouvé son comportement beaucoup trop suspicieux pour un simple surveillant.
Pour ma part, je m'étais réfugié sur le toit de l'immeuble. Des cordes se jetaient à l'assaut sur Belfort, qu'importe ; la pluie ne m'a jamais dérangé. À tout prix, je souhaitais ressentir cette sensation de danger en me penchant au dessus du vide ; une dizaine de mètres suffit pour stimuler mon vertige.
Assis sur le rebord, dos au vide, je contemplais mon reflet déformé sur un miroir d'eau à mes pieds. Ma chevelure paraissait brune, mes bras longs et épais, ma carrure extravagante ; tout ceci n'était qu'une image alternée de la réalité.
La banalité transpire sur ma peau, je la sue à longueur de journée. Mes cheveux sont châtains, mes yeux sont verts, et j'aime prendre l'air. Ne soyez pas étonné de cette rime soudaine, un lyrisme certain et enfantin coule dans mes veines.
Je suis un fêtard, j'aime déchirer mes boyaux avec de la vodka que je surnomme pureté volcanique : sa clarté transparente dissimule ses effets néfastes, mais son odeur vient la dénoncer. L'odorat, quel salop. Je vous avoue avoir quelques problèmes avec la boisson, depuis ma première cuite à 13 ans. Pourtant, je ne suis pas représentatif du gars dépravé qui se met des mures sur un trottoir crade de son quartier. À vrai dire, j'excelle dans mes études, les bonnes notes foisonnent sous mon dévolu. Si vous me croisez à une soirée, n'hésitez pas à me retirer le gobelet que j'aurais dans la main.
En somme, je suis l'ami de tout le monde ; je plais souvent, déplais quelques fois. Ce n'est pas le manque d'entourage qui me fait défaut. C'est surement l'orgueil que je vous présente en énonçant tout ça d'une manière peu innocente qui représente mon plus gros défaut. Pour me défendre, je dirais que je suis juste conscient de ce que j'ai, et je vois ça comme ma plus grande qualité.
Que je vous rassure, cette lucidité débordante a ses limites : Il existe des sujets sur cette Terre qui me désorientent complétement, notamment lorsqu'une conversation tourne autour du sexe. La seule expérience que j'ai vécu remonte à la semaine dernière : au beau milieu d'une soirée, une blonde me berçait de tendres baisers, tordant ma pudeur par la force de ses lèvres. Je l'ai laissé me guider jusqu'à un lit. Elle souriait malicieusement, satisfaisante d'avoir trouvé un pénis pour combler sa soirée. Dommage pour cette fille, je n'ai jamais réussi à bander. Elle semblait vexée. Je me suis aussi fait la malle.
Revenons à Néo, étape par étape.
Grosso modo, ma faculté de droit se trouve dans le même bâtiment qu'un lycée. Les locaux de ma licence ne représentent qu'une aile de l'ensemble, ce qui oblige les étudiants en années supérieures à emprunter la même entrée que les lycéens. Et, c'est de cette façon que je croise tous les jours Néo, le surveillant du lycée. Il a pour habitude d'occuper le poste dans le hall, notant les allers-retours des jeunes étudiants.
Ma relation avec cet homme s'est d'abord fleurie à distance : des simples regards échangés, un salut de la tête, puis un signe de la main, quelques sourires. Tout ça me paraissait tellement naturel à l'époque. Toutefois, cette phase amicale est révolue. J'ai fait l'erreur d'aller lui serrer la main une fois, je voulais toucher sa peau pour voir quel effet cela me ferait. Et tout fut chamboulé.
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Aujourd'hui, Néo a la fâcheuse tendance à enfreindre les règles que j'essaye vainement d'imposer. Nous sommes bien loin de l'époque où nous nous échangions de simples salutations. Je ne sais tellement rien de lui, ma connaissance s'arrête à ce que je vois : il divague entre la vingtaine et la trentaine, se laisse pousser la barbe pour affirmer sa virilité, s'entretient physiquement. Quel corps cela dit... je n'ose imaginer ce que son t-shirt recèle.
Ma poche vibre sous les gloussements de mon portable, je le tire en dehors et découvre, les yeux écarquillés, un message de Néo.
< ça ne sert à rien de courir, le lion finit toujours par attraper sa gazelle >
Je pouffe à la lecture de ce message provocateur. Voyez par vous-même à quel point notre relation est devenue tordue. Mes doigts s'unissent pour répondre à cet enfoiré.
< je ne te vois pourtant pas dans les parages. L'école, c'est un zoo ? >
Une légère fierté pointe le bout de son nez sur mon visage. Mes pieds suivent toujours la route qui mène au restaurant universitaire mais mon regard reste rivé sur mon écran, attendant patiemment un retour de sa part. Quelle connerie va t-il me dire ?
< et mon bureau, ta future cage. >
Ma mine change du tout au tout.
Ainsi il me fait tressaillir, en face comme à distance. Est-ce une blague, une provocation, un désir refoulé, un reproche ? Et pourquoi dans ces situations, je prends toujours le rôle du con qui ne saisit pas les enjeux ? Il faut qu'un de ces jours, je m'explique avec le connard qui écrit mon scénario, quelques lignes à rectifier et des gifles à distribuer.
Malgré mon envie constante de refroidir cet énergumène, je décide de laisser braser les quelques cendres qu'il a enflammé. Néo a ce truc, dans son regard ou je ne sais pas, je ne m'en lasse pas. C'est tout bonnement inexplicable, mais je peux tout de même essayer :
Je sais peu de chose sur lui, il s'est minutieusement intégré dans mon quotidien. Le jour où je lui ai serré la main, il a ri à gorge déployé. La honte m'avait pris dans ses beaux draps, le rouge avait explosé sur mes joues. Cependant, en tournant les talons pour déguerpir, il m'a retenu le bras et m'a demandé mon numéro. J'ai toujours en tête les muscles saillants de son bras lorsqu'il tapait des chiffres sur son téléphone. Je me demande quel sport il pratique pour être si musclé... Je ne vois que des atouts en le regardant. Pour ma part, parler l'anglais, le japonais, et le latin sont les seules choses dont je peux me vanter.
D'ailleurs, je ne sais toujours vers quoi me destiner à l'avenir. Greffier, juge des enfants ? Les deux sont bien différents, pourtant, je sais qu'ils me plairont tout autant. Je vous fais abstraction des longues tirades sur mes principes, mon éthique et ma merde : chacun la sienne.
À force de rêvasser seul, je n'ai même pas vu la porte se dessiner sur mon chemin. Mon derrière rencontre le sol, formant un bruit lourd dans le couloir, suivi de mon faible gémissement. Pourvu que personne ne m'ait vu, pourvu que personne ne m'ait vu. Je me relève maladroitement et supprime d'un geste répété la douleur qui émane de mes fesses. J'aime être gracieux dans chacun de mes mouvements.
- Le lion prend toujours par surprise la gazelle qui baisse sa garde, susurre Néo.
- Et si tu allais te faire voir, lion de mes deux.
La frustration a parlé, ma raison n'a plus sa place. Mon ton est cynique, mais ma précipitation me pousse toujours plus loin sur cette allée.
- Tu as déjà vu un lion rugir de mécontentement ? m'interroge l'homme
- Qu'est-ce que j'attends pour voir ça après tout, ironisé-je.
- Ne joue pas avec moi, Milan.
Une fraction de seconde suffit pour que son poing, durement fermé, vienne rencontrer ma poitrine et me plaquer contre l'un des nombreux casiers qui s'étendent le long des couloirs. Son regard se noircit en symphonie avec ses sourcils froncés. Je perçois distinctement ses veines se contracter le long de son bras qui me retient toujours.
Ainsi il reprend son rôle d'intransigeant. Un simple refus d'obtempérer à ses divertissements et me voilà désigner ennemi public.
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Sleeping Naughty #OVER
General Fiction" L'école est en feu, mon cœur amoureux " aurait été une belle fin pour Néo et Milan, face à ce qui les attend. Plongés tous deux dans un profond coma, ils se réveilleront dans des mondes parallèles aléatoires. Survivre sera le mot d'ordre. *HISTO...