Inclassable #1

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Quel plaisir que de quitter le travail pour... prendre le TGV. Ainsi va mon quotidien, pour ne pas dire métro-boulot-dodo. Les longs trajets sont devenus monnaie courante chez moi. Mais aujourd'hui je suis d'une meilleure humeur car oui, le wagon est vide ! C'est limite si je peux prendre une place de mon choix.

Je m'installe côté fenêtre, comme toujours, soufflant un coup la fin de cette journée, attendant avec hâte de rentrer chez moi. Je prépare mes écouteurs et ma playlist: ce sont mes compagnons de toujours. Je lance une partie de jeu sur mon téléphone, histoire de décompresser. Des personnes passent, mais je n'y prête pas attention. Toutefois, une silhouette s'attarde à côté de moi dans mon champ de vison. Je lève brièvement les yeux mais mon regard reste finalement plus insistant. C'est une femme, ou devrais-je dire jolie femme. Elle esquisse un sourire à en tomber par terre, ce qui fait apparaître le mien de plus belle. Ses grands yeux bleus scrutent le wagon, puis après une moue incertaine, elle prononce:
- Bonsoir, je peux ?
Je me pose mille questions dans l'instant. Elle peut quoi ? Vite, il faut que je réponde !
- Oui, bien sûr !
Merde, j'ai oublié de lui dire bonsoir.
- Et bonsoir, me rectifié-je comme un idiot.
Elle ricane timidement et s'installe à côté de moi. Non mais quelle était la probabilité qu'une personne s'assoie à côté de moi, qui plus est, une jeune femme ravissante ? Je souris intérieurement: c'est mon jour de chance, il faut que j'en profite.

Lorsque ma partie se termine, je n'en lance pas d'autre. Je verrouille mon téléphone et je le fourre au fond de ma poche. Toute mon attention doit être mobilisée à profiter de cette chance qui se présente. Je ne la regarde que du coin de l'œil, soudainement empli d'une timidité. J'aimerais lui parler, mais rien ne me vient. Que dire ? Lui demander comment elle s'appelle serait trop intrusif et lui parler de la pluie et du beau temps, trop banal. Je réfléchis aux milles possibilités, aux milles sujets de conversation possible, aux milles scénarios mais je n'ai pas le temps de songer aux milles autres approches:
- Je ne vous dérange pas j'espère ? me demande-t-elle.
Je la regarde à la fois heureux et à la fois démuni. De près elle est si belle, ses yeux perturbants semblent me traverser et me sonder comme si mon esprit était un livre ouvert.
- Non pas du tout ! Vous ne me dérangez pas.
- Vous pouvez me tutoyer vous savez, je ne suis pas encore à l'âge des formalités, ricane-t-elle adorablement.
- Oui c'est sûr ! Vous aussi, enfin... toi aussi !
Cette fille me met dans tous mes états. Ça faisait surement depuis le collège que je n'avais pas eu ce genre de comportement décontenancé. Elle aussi, étonnamment semble mal à l'aise. Comme si une sublime femme comme elle était timide... Je peine à le croire. Je pense que c'est plutôt mon air égaré qui la désole.
- Et tu t'appelles comment ?
- Pierre, et toi ?
- Clémence. Tu prends souvent le TGV ?
- A vrai dire, tous les jours, pour rentrer chez moi à Orléans. Toi aussi ?
- Non... Je suis venue sur Paris pour une affaire mais je ne suis pas une habituée des TGV.
- Et tu descends où ?
- A Limoges.
J'ai espéré pendant une seconde qu'elle descendrait dans ma ville, mais la chance à bien des limites... Restons positif: elle me parle !
- J'espère qu'ils ne feront pas de retards cette fois, ris-je.
- Tu m'étonnes, s'ils devaient recevoir un prix d'excellence ce serait à ce niveau-là.
Nous rions ensemble, j'apprécie son sens de l'humour. Ainsi nous continuons de discuter de tout et de rien, tout en faisant connaissance. Elle a le don de me mettre à l'aise. Elle a la parole facile. Moi qui me démène à trouver un sujet, elle n'éprouve aucune difficulté à me devancer. Ça faisait bien longtemps qu'une personne sympathique n'était pas venue me parler de son plein gré. Elle a définitivement illuminé ma journée !

Tandis que le train ne va pas tarder à démarrer, je constate que le wagon s'est quelque peu rempli. Je repose les yeux sur Clémence, qui s'active à me raconter ses dernières péripéties d'étudiante. Mais sans que je ne m'y attende, une secousse se fait sentir sur le sol. Puis deux, puis trois, elles s'approchent jusqu'à ce que je voie un homme plutôt fort, pressé, trottinant dans le wagon. Ma charmante voisine se retourne instinctivement. L'homme semble égaré mais je sais bien ce qu'il est en train de faire: il regarde le numéro des places, rien d'inhabituel en fait. J'attends que Clémence reprenne son récit mais lorsqu'elle voit mes yeux regarder derrière elle, celle-ci se stoppe une nouvelle fois. L'homme pressé est posté juste à son niveau, ce qui a le don de m'intriguer. Il respire bruyamment et sue à grosses gouttes. C'est amusant d'avoir devant soi à la fois l'incarnation de tous mes fantasmes, mais aussi celle de tous mes cauchemars. L'homme reste statique, puis tapote l'épaule de ma voisine.
- Excusez-moi, vous êtes à ma place.
Elle se retourne à nouveau vers moi et nous échangeons un regard qui signifierait tout simplement: pourquoi ?

Prise au dépourvu, elle bégaye un "désolé" rapide et se lève. Elle récupère son sac et s'en va, sans même me dire au revoir ou quoi que ce soit. Je suis juste muet, sans un mot pour exprimer mon incompréhension. Comment la roue a-t-elle pu tourner si vite ? Je me vois me lever, me jeter sur l'espèce de goujat qui vient de m'arracher à cette déesse et l'étrangler de mes propres mains, sentant le jus acide de sa nuque transpirante couler entre mes doigts. Quelle horreur ! Mais en réalité, la seule chose que je fais, c'est ravaler la boule qui s'est formée dans ma gorge. Si je me voyais, je pense que je me comparerais à un pauvre chien battu. J'aimerais tant suivre Clémence, m'assoir vers elle, mais elle s'est envolée aussi vite que tous mes espoirs.

Je balance alors mon regard le plus noir à mon nouveau voisin et ressors, d'un geste agressif et tremblant mes écouteurs. Je fixe le paysage dehors qui commence doucement à défiler. Au bout de quelques secondes, comble de tout, le mastodonte me tapote l'épaule. Je soupire et tente de réprimer la colère encore présente en moi. Mais lorsque je dévie le regard, je revois ces belles boucles blondes et ce regard azur parant ce joli minois. J'écarquille les yeux, croyant à une hallucination, mais non: c'est bien elle, debout à côté de mon voisin répugnant. Elle arbore un sourire désolé et me tend un morceau de papier. Je me contente de le prendre avant qu'elle reparte aussitôt.
Encore incrédule, je me tourne vers mon voisin pour lui demander si je viens de rêver, mais celui-ci est trop occupé à manger ses chips, la musique à fond dans son casque. Je regarde le morceau de papier quelques secondes puis je l'ouvre: "Je ne laisse jamais une conversation en suspens."
Je fronce les sourcils, intrigué, puis je retourne machinalement le mot: un numéro de téléphone. Je relève les yeux et un sourire béat se creuse sur mon visage. Tout compte fait, je crois que la chance ne m'a pas réellement quitté.

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Désolée pour la longue absence...

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⏰ Dernière mise à jour : Feb 01, 2016 ⏰

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Il était une fois... VDM.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant