Partie I

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« La valeur d'une œuvre écrite est purement potentielle – c'est ce que pourrait en faire un lecteur selon sa voix, son intelligence, son état, etc. »

Paul Valéry, Choses tues


Cassandre avait le sommeil agité. Ce n'était pas vraiment une découverte. Depuis cinq ans que nous nous fréquentions avec, disons... assiduité, je l'avais rarement vue passer une nuit sans tremblements, sueurs froides et gémissements. Mais elle me parlait peu de ses cauchemars. Peut-être en avait-elle trop peur, peut-être les oubliait-elle une fois réveillée. Je préférais ne pas lui poser de question. Pourtant, je sentais que ça la rongeait.

Cette nuit-là, il faisait chaud. Cassandre avait insisté pour que je laisse la fenêtre ouverte. Mais ça n'arrangeait pas grand-chose. L'air était au moins aussi irrespirable à l'intérieur qu'à l'extérieur. Ça faisait partie des inconvénients d'habiter Onoma. La grande capitale, avec ses tours de verre bleu, ses néons criards et le bruit incessant des véhicules aériens ne prenait jamais le temps de s'endormir et ne cessait de murmurer et de crier, quelle que soit l'heure.

Cassandre se tournait et se retournait avec des mouvements convulsifs. J'hésitai à la réveiller. Après tout, peut-être que ce cauchemar-là se finirait bien. Je me contentai donc de repousser les longues mèches blondes qui collaient à son front moite en murmurant d'une voix apaisante.

Soudain, Cassandre se redressa brutalement en hurlant, manquant m'assommer au passage. Les yeux écarquillés, elle fixa le mur, haletante.

Je me redressai à mon tour et passai un bras autour de ses épaules. La jeune femme se nicha contre moi, tremblante.

« Tout va bien... Calme-toi, murmurai-je.

— Je... je... Je t'ai vu mort. Tu étais mort ! » bredouilla-t-elle.

Je fronçai les sourcils. Je dessinai un cercle sur son épaule nue.

« Tout va bien, Cassandre. Je suis là. Je vais bien.

— Mais... mais... oh, Ockham, tu... tu étais là, allongé, tu... tu ne respirais plus, tu...

— Calme-toi. »

Je l'obligeai à me regarder dans les yeux. Des larmes soulignaient le brun doré de ses yeux, brillant dans la pénombre.

« Je vais bien, Cassandre. Ce n'était qu'un cauchemar. Rien qu'un cauchemar. »

La jeune femme ferma les yeux et ses sanglots s'espacèrent. Elle se blottit contre moi. Sa peau était brûlante. Ensemble, nous fixâmes le mur pensivement pendant plusieurs minutes. Finalement, Cassandre s'agita. Elle leva les yeux vers moi.

« J'ai un mauvais pressentiment, Ockham. Je suis certaine qu'il va t'arriver quelque chose, » souffla-t-elle.

Je ramenai une mèche de cheveux derrière son oreille et laissai mes doigts s'attarder sur sa joue.

« Qu'est-ce qui pourrait m'arriver ? Je n'ai pas plus de raisons qu'un autre d'avoir des problèmes... »

Elle secoua la tête.

« Non, ce n'est pas ça. C'est juste... une intuition. S'il-te-plaît, promet-moi que tu feras attention. »

Je l'embrassai brièvement sur le front, puis plus longtemps sur les lèvres.

« Rassure-toi, fis-je en souriant légèrement. Il ne m'arrivera rien. »



CandideOù les histoires vivent. Découvrez maintenant