Heterochromia

Chapitre 5.

L'institutrice nous as demandé de lui dire ce que nous aimerions faire plus tard.

Elle fait le tour de chaque banc jusqu'à arriver au mien.

- Et toi Daniel, que veux-tu faire plus tard ?

Je n'ai pas répondu.

J'ai dû écourter mon voyage à Paris. Christian est rentré exceptionnellement pour deux jours et je ne pouvais pas me permettre de le rater.

Je suis assis dans mon canaper quand on sonne à la porte que je m'empresse d'aller ouvrir. C'est justement lui.

- Salut Daniel, je t'ai manqué ?

- Tu n'imagines même pas. Salaud.

- Désolé... L'expo ?

- La pire de ma vie...

Je le fais entrer et on s'assied au salon où la chaine hifi diffuse doucement "I'm Bugged At My Ol' Man" des "The Beach Boys"

- Raconte.

- Tu n'imagines pas le monde qu'il y avait... J'étouffais vraiment alors je suis partis prendre l'air pour me calmer...

- Ça sent l'embrouille.

Chris ne sait pas, personne ne sait que depuis l'expo, depuis que j'ai rencontré ce garçon, Mike, je me sens étrange. Je pensais que partir pour Paris m'aiderait à l'oublier, je pensais que coucher avec Matt me ferait oublier mais ce fut le contraire.

- Daniel ? Qu'est-ce que tu fais ici ?

Matt me regarde surpris et je rentre chez lui sans même prendre la peine de demander, comme une vieille habitude qui reviendrait. Sa maison, cette odeur que je connais par coeur, me rappelle l'époque où je vivais presque là, me pensant capable d'un jour pouvoir aimé. Capable d'entretenir une vraie relation.

- Ça ne va pas ?

- J'ai besoin de toi...

Presque automatiquement ses mains viennent agripper ma chemise qu'il déboutonne.

Je le regarde faire, je regarde ses mains s'agiter calmement sur le tissu. Il est beau, vraiment. Encore plus beau qu'il y a cinq ans. Peut-être aurais-je pu l'aimer finalement...

Mes mains le déshabillent et sans que je ne m'en sois rendu compte je le prends sur son canaper. Mes mains dans ses cheveux, sa tête en arrière et son cou qui s'offre à moi  est un spectacle dont je me régale. C'est à ce moment que je me souviens de nos longues et pénibles nuits d'engueulade ou ma souffrance le faisait souffrir également. Je tente par tous les moyens de me dégager l'esprit, de ne penser qu'à l'acte que nous faisons mais quand je pose à nouveau mes yeux sur cet homme, c'est Mike que j'aperçois. Le garçon de la galerie, nu et entièrement à moi, avec ces boucles qui se mêle à mes doigts. Cette pensée me tord le ventre et en revenant sur l'homme que j'ai tenté d'aimer il y a plus de cinq ans, je réalise enfin ce que je suis en train de faire et pour la première fois depuis longtemps, j'ai pleuré.

- Daniel ? Raconte-moi, il se passe quoi ?

- J'ai revu Matt...

- Pardon ? Il est venu à l'expo ? Il a quitté Paris ?

- Non ! Non c'est à Paris que je l'ai revu.

- Mais on parlait de l'expo là.

- Laisse-moi m'exprimer s'il te plaît.

Quand il soupire je prends ça comme un "continue"

-J'ai revu Matt pour me persuader que je n'arriverai jamais à ressentir le moindre sentiment amoureux pour quelqu'un. Étant le seul garçon avec qui j'avais pensé construire quelque chose il me semblait évident que je devais le revoir. On a couché ensemble, seulement quand je le regardais je me suis rendu compte que je l'avais aimé à l'époque sans m'en rendre compte. Je me suis rendu compte que c'était trop tard pour réaliser ce genre de choses. J'ai craqué, ça m'a bouleversé. C'est con...

- Pourquoi ce serait trop tard ? Il t'a toujours aimé, va le rejoindre.

S'il te plaît Christian, ne me fait pas ça...

- Tu pleures ?

- Ta gueule putain...

- Tu es vulgaire en plus ! Ça va si mal que ça ?

- Je suis un salaud Chris ! Si je pleure c'est uniquement pour ça... Je suis un connard égoïste et le dire de vive voix ça me fait craquer c'est un droit non ?

Ma voix s'emporte et je sens mes poigts se serrer, il est temps que je me calme.

- Dan, calme toi ce n'était pas un reproche... C'est juste que je t'ai presque jamais vu pleurer, mais t'a le droit...

- Tu m'as jamais vu pleurer...

- Peut-être. Allez, change pas de sujet, dis-moi.

- Je me suis simplement rendu compte que j'avais de réels sentiments pour Matt et que maintenant il était trop tard, c'est égoïste.

- Pourquoi égoïste ?

- J'ai quelqu'un dans la tête, il ne veut pas s'en aller... Je crois que j'ai des sentiments pour lui

- Pour qui ? Je ne suis plus rien là...

- Un garçon que j'ai rencontré à l'expo.

- Ok, donc tu as un début de sentiments pour un type que tu connais pas... Ça s'appelle la vie mon grand, je ne vois pas en quoi c'est égoïste...

- Pour Matt ! Je lui ai jamais offert ça... Il savait que jamais je ne serais prêt à m'engager et là j'en ai envie mais avec quelqu'un d'autre. Quelqu'un que je ne connais pas !

- Calme toi s'il te plaît...

Sur ces mots je ne dis plus rien, à quoi ça servirait de toute façon . Je suis incapable de m'exprimer. Je me rends compte que pendant tout ce temps j'étais capable de ressentir quelque chose qui s'apparenterait à de l'amour et je voudrais tenter de développer ça avec ce Mike que je n'ai vu que quelquefois alors que Matt a tellement souffert pour tenter d'avoir cela.

- Tu t'en veux d'avoir envie d'une relation avec un mec que tu ne connais pas à la place de ton ex ?

- Oui, enfin plus de m'en rendre compte seulement maintenant...

- Maintenant qu'il y a quelqu'un d'autre ?

- Oui...

- C'est toujours comme ça Daniel. Si ça n'a pas marché avec Matt c'est que ça devait pas ce faire...

- Oui...

- Arrête de dire oui !

- Ok...

- C'est pareil crétin !

Je ris et tente de me vider la tête. Je ne veux pas de pensée parasite tant que mon meilleur ami est assis et bien vivant sur mon canaper.

- Un petit verre bébé?

- Tu sais très bien que non.

Christian est partis dans la journée pour profiter de ses dernières heures avec Lily, sa compagne, ce qui me permet de me poser pour réfléchir.

Dans la chambre je défais  mes valises et Requiem vient miauler à ma jambe. Je le porte dans mes bras et le caresse.

Il semble minuscule et fragile chaque fois que je le porte contre moi.

Je me couche sur mon lit et joue avec lui un long moment avant de recevoir un SMS.

" Bonsoir Daniel, c'est Richard Aven. Saurais-tu descendre chez moi demain dans la matinée ? Je n'ai pas dans l'habitude de faire des entrevues dans ma maison mais c'est urgent. Il est important que ce soit dans la matinée car mon fils rentrera vers midi et je ne veux pas le déranger avec mes clients. Es-tu disponible ? Si oui je t'envoie l'adresse. Désolé de prévenir si tard, passe une bonne soirée."

Je souris.

Demain, je saurais où vit notre cher Mike.