Chapitre 1

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Et si les étoiles m'accordent une chance,
Me laissent une place,
Alors on brillera !
Nous sommes nés pour briller !
Nous sommes nés pour briller !
- La fouine, Né pour briller!

"Meuh ! Meuh ! Meuuuuuuh ... " Émily se réveille en sursaut. Quoi ? Meuh ?
" Meuh  ! Meuh ! Meuuuuuuh... ", répète le réveil en forme de vacheil sur sa commode. Émily l'a choisi la semaine dernière dans un magasin d'objets rigolos situé près de chez elle, en se disant qu'AU MOINS cette année ce ne serait pas sa mère qui viendrait la réveiller avec sa gentille petite voix douce qui murmure: " Bon matiiiiin, perlimpinpin !! "
PERLIMPINPIN !
Il y a juste une mère pour penser qu'on a envie de se réveiller en entendant PERLIMPINPIN !
Se réveiller avec " Meuh meuh ", c'est très bien pour une fille qui commence le secondaire.
À condition de vous rappeler que c'est une vache qui va vous réveiller, un détail qu'Émily
avait complètement oublié. Quelle impression bizarre ! Pendant une seconde, elle s'est vraiment
crue dans une sorte d'étable. " Ouache ! Oups ! non, c'est vrai. Ce n'est que le réveil. Vache. Hi hi hi."
" Meuh ! Meuh ! Meuuuuuuh..."
"Ben oui, ben oui, attend un peu", se dit Émily en essayant de gagner quelques minutes
de plus sous les draps. Elle a volontairement placé son nouveau réveil-vache très loin de son
lit, la veille, en se disant que c'était une technique IN-FAIL-LI-BLE pour se lever. Et ce matin, elle
rit toute seule dans son lit en écoutant la vache meugler à l'autre bout de la chambre.
Le réveil-vache ne l'a peut-être pas fait bondir du lit comme prévu, mais, au moins, il est efficace pour la faire rire. Parce que, en fait, la journée s'annonce HORRIBLE. HORRIBILIS. HORREUR-ESQUE.
Aujourd'hui, c'est le jour de la rentrée. Une rentrée qui inquiète Émily au plus haut point.
AU PLUS HAUT POINT.
POURQUOI ? Parce que. Bon. Première raison: ce sera dans une école
qu'elle n'a pas choisie. Non mais ! Toutes ses amies trouvent sa mère géniale parce qu'elle la
laisse habituellement faire tout ce dont elle a envie. Et, en fait, Émily adore sa mère (chut!). Mais pour l'école secondaire, elle s'est frappée à une mère inconnu. BOOM. BADANG. Une mère qui dit non pour la première fois.
- Non ?
- Non.
- Non, pas d'école publique.
Émily trouve ça vraiment... injuste. Super injuste.
Marie-Pier, sa meilleure meilleure meilleure
amie, ira pourtant à la polyvalente, elle. Pourquoi Émily a-t-elle le droit de faire tout ce qu'elle veut SAUF choisir son école secondaire ? C'est quoi, la logique ? L'année dernière, elle a même fait du saut en parachute. DU SAUT EN PARACHUTE ! C'est bien plus DANGEREUX que d'aller à l'école publique ! Du PARACHUTE ! Une activité évidemment jugée beaucoup trop dangereuse par les mères de ses amies... QUI VONT À L'ÉCOLE PUBLIQUE. Bon. Il n'y a que Marie-Pier qui a le droit d'aller à l'école publique parmi toutes ses
amies. Mais puisque c'est sa "meilleure meilleure meilleure" amie, elle compte pour... au moins quatre amies ! Cinq amies ! Peut-être même six.
La vérité, c'est qu'Émily N'A PAS aimé sauter en parachute. Bien sûr, elle a ensuite clamé à toutes ses amies envieuses que c'était "vraiment cooooool"."Super cooooool, géééééééénial, triiiiiiiiiipant." Bref, genre, vous voyez le genre.
Mais la vraie histoire, c'est qu'elle a eu une très gênante envie de vomir son burger aux oignons avalé en toute hâte une heure avant de sauter. Beurk.
Que se serait-il passé si elle avait vomi dans les airs ? Aurait-on vu les oignons planer jusqu'en bas ? OUAAAAAH !
Mais ce qui est pire que tout, pire que vomir, pire que l'école privée, c'est qu'Émily rougit du nez. Elle a toujours rougi du nez. Pourquoi pas des joues, comme tout le monde ? Ou encore des oreilles ? Non. Du nez. C'est très jolie, on dirait une baie sauvage au milieu d'un visage.
"Meuh ! Meuh ! Meuuuuuuuuh !"
Le réveil meugle encore à qui meuh meuh. Bon. Il faudra bien aller l'éteindre. Émily se lève à regret (adieu, draps frais !) et se dirige en traînant les pieds vers l'appareil. "Mais...mais...mais? Il n'y a pas de machin à enfoncer entre ses cornes, ni de bouton ni de petit truc derrière? Comment on l'arrête, alors? Il aurait fallu le demander avant" se dit Émily en secouant le réveil dans tous les sens, sans succès.
"Meuh! Meuh! Meuuuuuuuuh!"
Mais qu'est-ce qui lui prend, à cette vache? Émily retourne s'asseoir sur son lit, le réveil dans les mains. Elle l'a règlé pour qu'il sonne (meugle?) assez tôt afin qu'elle puisse se rendre TRANQUILLEMENT au pensionnat Saint-Preux ("Et pourquoi pas Saint-Prout tant qu'à y être? Ha ha ha ! Saint-Prout!"). Mais si ça continue, elle sera en retard pour cause de vache.
"Comme première impression, ce serait nul-poche."
L'idée d'entrer au PENSIONNAT Saint-Prout effraie Émily, même si c'est un pensionnat où elle ne restera pas dormir. Sa mère a jugé bon d'envoyer sa fille dans la "meilleu-reu écœuré" (à prononcer avec beaucoup de sérieux) de toute province. Mais, selon Émily, il ne s'agit que d'une école pour les gens riches. Comme elle.
Émily sait que sa mère a beaucoup d'argent. C'est assez cool, la plupart du temps. Mais c'est vraiment chiant des jours comme aujourd'hui. Parce qu'elle ne peut pas aller à la même école secondaire que tout le monde. (Ok, pas tout le monde, mais Marie-Pier, sa "meilleure meilleure meilleure" amie, ira à la polyvalente. Hé! Même si elle est riche elle aussi?! Oui. Preuve que ce n'est pas parce qu'on est riche qu'on doit OBLIGATOIREMENT aller dans une école privée. Suffit de demander à une mère qui dit OUI!)
"Meuh! Meuh! Meuuuuuuuuh!"
Annick ouvre doucement la porte de sa fille.
- As-tu un problème avec ton réveil, ma loulou?
- Ben non. Tu vois, il fonctionne TRÈS bien.
- je vois ça, oui.
Émily, l'air de rien, dépose l'objet qui crie toujours : "Meuh! Meuh! Meuuuuuuuuh!" (et qu'elle a maintenant envie de jeter par la fenêtre) sur sa table de chevet. Devant elle, suspendu à un cintre devant le grand miroir, l'uniforme obligatoire du pensionnat a l'air d'un mannequin avec une tête en crochet de métal.
- Est-ce qu'il s'arrête à un moment donné, ton réveil? Demande Annick avec un sourire en coin, en s'appuyant sur le cadre de la porte.
- Oui, il doit s'arrêter tout seul. Tsé, comme une lumière d'auto. Comme une sonnerie de téléphone. Comme une alarme de détecteur de fumée. Comme...
- Ok, j'ai compris. T'es de mauvaise humeur. Je vais être dans la cuisine.
Annick s'éloigne, au grand soulagement d'Émily qui se relève et reste quelques instants sans bouger devant les vêtements verts (VERTS!) qu'elle doit porter. Elle les a enfilés il y a quelques semaines dans la boutique spécialisée où ils ont été ajustés à sa taille. La couturière a alors dit: "comme tu es grande, toi ! Tu vas être la plus grande de ta classe." Ben oui, ben oui. Comme si elle ne savait pas.
Émily est grande. Une grande échalote. Tout en jambes, comme a dit un jour son professeur d'éducation physique du primaire. "Dommage que tu ne t'en serves pas pour faire du sport." Blabla prout. Et si Émily n'aimait pas ça, elle, faire du sport? Courir en rond jusqu'à avoir le nez de la couleur d'une petite tomate mûre? Non merci. Pourquoi est-elle née avec de si grandes jambes? Ah! Seigneur, pourquoi?
Émily touche le tissu de la jupe à carreaux. Il est raide, rugueux, pas du tout soyeux, malgré la frange en bas qui est plutôt jolie. Le chemisier blanc orné de l'écusson de l'école a pourtant de la classe, il est tout doux. Et dire que ce sont des verts (brr!) qui fabriquent la soie. Comme quoi...
Elle enfile le chemisier, attache tous les petits boutons de satins en se demandant quand exactement la satanée vache va arrêter. Elle ajuste ensuite la jupe, saisit les grands bas (VERTS!) étendus comme des chaises longues sur son bureau. Il faut admettre que le look ne manque pas d'allure. Il ne lui reste qu'à démêler ses long cheveux blonds et à se faire, tiens, une tresse lâche dans le dos, comme Fergie. Ce sera jolie.
Émily sort de sa chambre et longe le couloir qui mène à la cuisine principal, la plus grande des deux. Madame Alvez, la cuisinière, est déjà partie, et les bons arômes de muffins maison et de fougasses au romarin embaument toute la cuisine. Émily se réjouit de percevoir aussi une odeur de clou de girofle. Elle adore quand la cuisinière fait un plat marocain pour le repas du soir.
Annick est déjà habillée et maquillée, debout devant le grand comptoir, son café à la main.
- Alors, comment tu te sens ? demande-t-elle à sa fille en déposant la petite tasse, avant de s'essuyer les mains.
- Bien.
- Tu es nerveuse?
- Un peu, lâche Émily en croquant dans des muffins.
Comme elle le pensait, ils sont délicieux. Elle s'assoit sur un des tabourets alignés près du comptoir.
- Tu as ta montre ?
- Oui, maman. J'ai aussi pensé à mettre une petite culotte.
Annick ne relève pas. Elle connaît sa fille, elle sait qu'elle est bougonne le matin. Surtout, elle comprend qu'Émily lui en veut de l'obliger à aller au pensionnat. "J'ai adoré ça quand j'avais ton âge", lui avait-elle dit pour tenter de l'amadouer. Mais Émily n'en a que faire d'aller à la même école que sa mère. Pour elle, c'est une vieille école, remplie d'ados déjà vieux, portant des lunettes et ne s'amusant jamais. Ja-mais.
Émily avale sa bouchée de muffin de travers. Elle déteste être arrogante avec sa mère. En fait, elle déteste sa mère de la rendre aussi impatiente. C'est compliqué. Elle ne sait plus trop à qui elle en veut. Mais une chose est sûre, elle voudrait être seule dans la cuisine avec le reflet du soleil et son muffin.
- Je m'en vais, lance Annick en s'approchant d'Émily pour l'embrasser sur le dessus de la tête.
C'est leur habitude depuis qu'Émily a demandé à ne plus être embrassée comme un bébé. Un compromis qui lui plaît bien.
- Bonne journée, ma loulou. Tu me raconteras tout ce soir, crie Annick en marchant vers le hall, clic clac font ses talons.
Émily entend le bruit de la porte mécanique du garage qui s'ouvre. Elle parie que sa mère prendra la Jaguar aujourd'hui. Lorsqu'elle porte ce tailleur, elle prend presque toujours la Jaguar.
La jeune fille se retrouve seule dans la cuisine. Elle sait qu'elle a un petit quart d'heure avant de croiser Monique, la femme de ménage, qui a toujours très envie de parler. Mais, surtout, elle réalise qu'il faut qu'elle parte, elle aussi. Elle a choisi de ne pas appeler monsieur Simard, le chauffeur. Elle va y aller à pied. Comme une ado qui se rend à la polyvalente. Comme Marie-Pier. Le pensionnat est à deux pas. Bon, disons, trois cents pas. Mille? En tout cas, ce n'est pas loin. Pas loin, comme dans "on peut y aller à pied".
Elle attrape son sac en cuir dans l'entrée, revêt le cardigan vert (VERT!) en se disant qu'elle n'a jamais autant ressemblé à un grand céleri.

Nikki popOù les histoires vivent. Découvrez maintenant