Terre morte

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Déchiré entre ma rage et ma curiosité

Pour te comprendre, j'irais jusqu'à te tuer.

* * *

L'homme gravissait péniblement un immense monticule difforme de roches et de pierres, courbant la tête sous le ciel d'hiver, ses doigts se glissant difficilement dans les anfractuosités grise et brune de la colline artificielle.

L'air glacial s'infiltrait dans ses manches retroussées, creusant son visage, sinuant dans son cou. Le soleil pâle ne parvenait pas à réchauffer sa peau livide, se contentant d'éclairer sa veste ocre, trop fine, son jean déchiré, sa chemise tachée et la large plaie pourpre ondulant de sa tempe à sa joue.

La pierre coupait ses doigts gercés, suintait d'humidité, ruisselait parfois en fins éclats monochrome, comme désireuse à tout prix de stopper son ascension, de le faire perdre. Le vent, violent, le plaquait tantôt contre la roche, tantôt l'en éloignait, mesquin.

Ses pas soulevaient une poussière âcre qui brûlait sa gorge et ses yeux, masquait sa vue d'un voile trouble et rendait son chemin encore plus ardu, se mêlant au sable et aux petits fragments de cailloux qui s'acharnaient à le faire trébucher. Chaque mètre gagné pouvait le renvoyer tout en bas, d'une façon toujours plus cruelle.

Et en bas, c'était le vide. Une dizaine de mètres.

Mais il n'avait pas le choix. Il devait passer de l'autre côté.

Il tira désespérément sur ses bras, s'efforçant d'ignorer sa vue se floutant sous l'effort et l'épuisement, et parvint enfin au sommet du monticule. Haletant, il regarda autour de lui, les oreilles emplies d'un bourdonnement sourd.

En haut, le ciel. Immense et délavé.

Derrière lui, une plaine aride et déserte, crevassée. Devant, après une large rivière charriant des flots verts sombres et quelques dizaines de mètres de campagne, une forêt, presque accueillante. Sous lui, cette étourdissante colline rocheuse aux angles acérés.

Il prit une profonde inspiration, s'efforçant de calmer les battements effrénés de son cœur. Tout tournait, autour de lui, et il se rappela enfin que son dernier repas remontait à près de quarante heures auparavant ; et son dernier repos, à trente-six, approximativement.

Retirant son sac à dos de ses épaules, il fouilla avidement à l'intérieur, sans rien en tirer d'autre qu'un morceau de pain rassis, qu'il grignota en désespoir de cause après en avoir gratté les moisissures. Il fit descendre ce maigre repas avec le fond d'une bouteille d'eau, sans avoir l'impression de vraiment se désaltérer.

S'efforçant de retenir un sanglot d'accablement, il sortit ensuite de son sac une caméra coûteuse en excellent état, soigneusement enveloppée dans une housse et dans plusieurs étuis étanches et rembourrés. Il la mit en marche, la maniant avec soin, et fixa l'objectif muet, la portant à bout de bras.

- Cent-douzième jour... je crois. Je ne suis pas sûr, je me suis récemment évanoui, et le temps a filé sans moi. On doit être vers neuf heures du matin, mais j'ai l'impression que ma montre déconne. Fait froid. J'ai faim, vraiment. Et soif.

Il soupira.

- Toujours pas croisé quelqu'un de vivant. Un cadavre, par contre, sur lequel j'ai récupéré un fond d'eau, une flasque défoncée d'alcool, un peu de pain, des piles et deux clopes. Un briquet, aussi. Pas de quoi remplir mes réserves de tabac... J'ai bu l'alcool. Eau-de-vie, je dirais. Ça m'a brièvement réchauffé, et ça m'a aidé à dormir, mais je me suis payé une monstrueuse gueule de bois, après.

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