Juillet - 7

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Il rougit, se recule légèrement, mais ne me lâche pas des yeux. Je me rends enfin compte de la portée de mes paroles, et je baisse la tête, le rouge me montant aux joues. Je me racle la gorge et reprends la parole :

- Tiens, c'est un bon exercice pour toi, pour que tu ne perdes pas la main. Calcule combien de pot il me faudrait pour repeindre mes murs, sachant que ma chambre fait treize mètres carrés et qu'un tiers de ses murs peuvent être repeints.

Il souffle, mais se met rapidement au travail, dégainant son téléphone muni de sa calculatrice pour l'aider. Je fais moi-même le calcul dans ma tête, calcul que je sais être juste - ce genre d'exercice est bien en-dessous de mon niveau réel. Quelques minutes plus tard, hésitant légèrement, Valentin me donne la même réponse. Je lui indique qu'elle est juste et lance un cri de joie au plein milieu du magasin - certains clients se tournent vers nous et nous fusillent du regard, ce que nous ignorons complètement. Il m'aide à attraper les pots et nos mains se frôlent plusieurs fois dans la manœuvre - nous les retirons immédiatement, gênés. Alors que je me dirige vers la caisse, flanqué de mon chariot, Valentin me soumet une de ses idées :

- Hum... J'ai quelque chose à te proposer... Avec la couleur que tu as choisie, on peut vraiment faire quelque chose de beau. Mais il me faut plus de couleurs. Pas en grandes quantités, et c'est ça ce qui m'embête. Je suis presque certain qu'il me faut moins d'un pot entier.

- Nous pourrions peut-être demander aux vendeurs s'il est possible d'acheter un demi-pot. Nous allons juste éviter celui qui nous a accueillis ou nous risquons de nous prendre un non franc et généreux.

- Oui, rit-il, mais je ne pouvais pas m'en empêcher. Surtout que j'avais raison !

- Je ne dis pas le contraire. La preuve, j'ai ri en même temps que toi.

- Je suis en train de te faire devenir comme moi, dit-il en souriant et en faisant un clin d'œil.

- Je ne me laisserais pas faire, crois-moi. Un Valentin, c'est bien assez suffisant.

Il tique étrangement et me sourit avant de partir à la recherche d'un vendeur qui voudra bien nous renseigner et même peut-être nous aider. En riant, nous évitons plusieurs fois d'affilée le vendeur du départ, qui semble comprendre que nous nous moquons de lui. Nous commençons même à nous demander si ce magasin n'est tenu que par un seul vendeur. Nous finissons par mettre la main sur une jeune femme, sans doute âgée de quelques années de plus que nous. Valentin, devenant subitement un brave petit garçon, plaque son plus beau sourire sur ses lèvres et s'adresse le premier à la jeune femme :

- Excusez-moi de vous déranger, mais nous avons une question pour vous.

- Oui, que puis-je faire pour vous ? demande-t-elle, enthousiaste

- Nous avons besoin de peinture pour un projet personnel, mais nous n'avons pas beaucoup de moyens et il ne nous est pas nécessaire d'acheter des pots entiers de ces nuances. Serait-il possible d'acheter des demis-pots de peinture ?

- Sans vous paraître curieuse, puis-je connaître la nature de ce projet ?

- Oui, mais je vous le dirais dans l'oreille. Il ne faut pas que mon meilleur ami, présent ici derrière moi, ne m'entende, puisque c'est une surprise pour lui. Vous savez, c'est son anniversaire aujourd'hui !

J'écarquille très légèrement les yeux à mon appellation. C'est la toute première fois que Valentin m'appelle son meilleur ami, et j'en suis presque tout retourné. Je n'en ai jamais réellement eu.

La vendeuse hoche la tête en souriant et Valentin se rapproche de son oreille. Il y glisse quelques mots que je comprends à moitié - je ne cherche pas à le faire, respectant son souhait de me faire une surprise. Semblant convaincue, la vendeuse réalise une exception pour nous. Elle nous amène dans le bureau où les employés se réunissent. Elle déniche quatre bocaux de verre d'une étagère très haute et nous demande de l'attendre. Avant qu'elle ne revienne, celui qui nous avait accueillis entre dans le bureau et s'insurge littéralement contre nous.

- Comment osez-vous entrer dans cet endroit ? Vous ne savez pas lire ou quoi ? Réservé au personnel, qu'est-ce que ça veut dire, d'après vous ? Que les clients impolis comme vous ne doivent pas poser un orteil dans ces lieux. Sortez, et que je ne vous revoie plus ici.

Nous ne nous laissons pas faire. Nous ne bougeons pas d'un millimètre. Avant que Valentin ne prenne la parole, je me place devant lui et darde mon regard le plus noir vers cet odieux vendeur.

- Si vous aviez été vous-même plus poli, vous n'aurez pas crié sur nous en franchissant le seuil de la porte. Sachez que nous attendons l'une de vos collègues, car mon meilleur ami lui a demandé un service et qu'elle est partie chercher ce dont elle a besoin. Nous ne sommes pas ici pour vous embêter et nous moquer de vous, même si nous avons matière à le faire.

Ma tirade fait son petit effet sur le vendeur, qui ouvre une grande bouche bien ronde. Je suis fier de moi. La vendeuse revient à ce moment précis, chargée de cinq pots de peinture. Elle salue son collègue d'un signe de tête, lui demande ce qu'il fait là et finit même par le chasser de la pièce, lui rappelant son rôle à l'accueil du magasin. Je lui souris une dernière fois et l'éclat de mes dents blanches lui envoie ma victoire en pleine tête.

La jeune femme prépare les bocaux, qu'elle remplit de moitié. Elle calcule ensuite le nombre de mètres cubes qu'ils contiennent et nous prépare une facture. Avant de partir, Valentin va acheter une bâche de protection pour mon sol, qu'il tient à payer lui-même. Je l'interroge sur les pinceaux et il me répond, avec un clin d'œil, qu'il a tout ce qu'il lui faut.

Dans le bus qui nous ramène chez nous, un silence presque gênant s'installe. Je ne parviens pas à regarder le ciel, focalisé sur Valentin et ce qu'il a dit dans le magasin. Le fait que je sois, pour lui, son meilleur ami. Il est vrai que je l'ai également désigné ainsi, mais c'était plus par retour de balle - comme par automatisme - que par réelle volonté. L'amitié du blond s'est imposée à moi en juin et j'essaye, au fil des jours, de lui rendre comme je le peux. Mais de là à l'appeler mon meilleur ami, il y a un fossé que je ne parviens pas encore à franchir.


Ciel d'été [BxB]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant