Spleen et Idéal

277 17 10
                                    

Première version de la nouvelle "Spleen et Idéal."

* * *

Je vis entre spleen et idéal. Cela a toujours été ainsi. Entre déclin et essor, détresse et illumination, enfer et paradis. Pas l'enfer que vous vous imaginez, non. Le pire. Celui où vous voyez qui vous êtes réellement.

Non, excusez-moi. Je n'ai pas toujours vécu ainsi. Il faut... que je reprenne du début.

On me nomme « le Hippie ». Vous me connaissez. Je suis le shooté, le camé, le mec drôle qui hurle qu'il voit des licornes, qui crache après Babylone et qui se tire de tels délires que ça en deviendrait presque flippant. Toujours avec un joint aux lèvres, jamais à court, se permettant quelques réflexions intelligentes – rarement, en vérité.

Je vous fais rire, pas vrai ? Vous vous gaussez ? Vous pouvez arrêter tout de suite. Quand je vous aurais raconté mon histoire, la première chose que vous ferez en me voyant, ce sera pleurer.

Si vous avez un cœur.

J'ai toujours été le marginal, le mec au fond de la classe, qui passait son temps sur un banc dans la cour à regarder les autres courir, avec dans mes yeux cette lueur qui semblait dire « je vous connais mieux que vous ». Le gamin qui parlait pas, qui semblait ailleurs ; rêveur. Je faisais peur.

Au collège, le rejet s'est accentué. Je n'étais clairement pas comme les autres, qui parlaient de filles, de sport, de voitures, à jouer les rebelles, à rigoler aux blagues grasses et à se moquer des profs. J'étais certifié pas conforme à une norme qui de toute façon ne nous appartenait pas. Ces fous, ils s'y pliaient en pensant être le parfait contraire de l'ado signé société, alors que c'était cette dernière qui leur avait dicté leur modèle.

Non, moi, je restais, dans un coin, Baudelaire dans les mains, me plongeant dans ses mots, du Bob Marley vissé sur les oreilles. Je n'avais pas d'amis, on me lançait des boulettes de papier, on me faisait des croche-pieds, on se moquait de moi...

Se convaincre. Se convaincre que cela n'avait aucune importance. C'était si dur, si vous saviez.

Au lycée, cela a quelque peu changé. Les gens me foutaient à peu près la paix. Plus intelligents, plus je-m'en-foutiste ? J'en sais rien. John Lennon et Brassens étaient plus intéressant que ces questions. Je continuais de lire Baudelaire, toujours, encore, un peu comme une drogue.

Au lycée, il s'est passé pas mal de choses. J'ai commencé à fumer, de simples cigarettes, sans trop savoir pourquoi. Me donner un style ? Voir les autres le faire m'avait-il influencé ? Putain, j'en sais décidément rien.

J'ai pas fait que ça. Je suis tombé en échec scolaire, comme une continuité dans la logique des choses. Les profs murmuraient dans les couloirs, me plaignant. Ils parlaient de ma mère surchargée de boulot, de mon père qu'en foutait pas une et qui préférait boire et fumer en insultant les filles au PMU du coin que nous aider à nous en sortir.

C'est qu'on n'était pas riche. J'avais tout ce qu'il me fallait, mais je voyais l'épuisement sur le visage de ma mère. Je voyais ces vêtements usés jusqu'à la corde, parce qu'elle n'avait pas les moyens d'en payer d'autres, pour elle. La nuit, le son de ses larmes me renversait la tête, et y avait que le bruit de mon mp3 pour le faire fuir.

Chante, Kurt Cobain. Chante pour moi.

Ouais, c'est au lycée que tout a changé pour moi. De façon totalement stupide, en un sens. J'étais assis comme d'hab, sur un banc... les Fleurs du Mal entre les mains. Spleen et Idéal. C'était moi, ça, je me répétais. C'était tout moi.

Je suis ce que l'on m'a dit d'êtreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant