La nuit était tombée depuis longtemps déjà. La brume s'accrochait aux arbres, piliers d'un temple oublié, s'effilochait pour former des nuages vaporeux, comme une sorte d'écume sortie de terre, ou les doigts d'une main fantomatique. Les feuilles bruissaient, murmuraient sur mon passage, comme autant d'êtres que je réveillais par ma présence, que je dérangeais dans leur sommeil serein et lourd. Dans ma main droite crispée par le froid, un instrument de mort, mon salut tranchant et pesant. Mes vêtements trempés, rongés par la pourriture, collaient à ma peau, s'y agrippaient comme s'ils avaient peur de tomber. Je ne sentais plus mon sang couler hors de ma jambe, et la douleur s'était muée en une mélodie grinçante à l'arrière de mon esprit. J'avais perdu le compte des heures depuis que j'avais pénétré cette forêt maudite. Je ne faisais plus que clopiner et mon existence me semblait réduite à cela. Avancer. Encore. Sortir de cette armée de troncs. J'avais l'impression que mes pensées avaient fini par claudiquer elles aussi. Je n'étais plus un humain, mais un instinct. Jambe gauche en avant, tirer jambe droite. Jambe gauche en avant, tirer jambe droite. Finalement, qu'étais-je d'autre ? Deux membres désaccordés au milieu du néant. C'était tout.
Ce néant fut soudain déchiré, comme le voile sur sa conscience engourdie, lorsque de la lumière jaune électrique apparut devant elle. Elle s'approcha lentement. C'était deux faisceaux, deux lances transperçant la nuit. Elles provenaient d'une longue boite rectangulaire éclairées de l'intérieur. Elle remarqua les roues et comprit. Un bus. Au milieu de la forêt, abandonné. Elle se senti attirée, comme un papillon par une lampe. Elle serra son arme et entra à pas de loup dans cet ilot de civilisation.
L'intérieur était vide. Il n'y avait que les sièges, en bon état. Le réservoir était rempli aux trois-quarts. La clé était sur le contact, ornée d'un couple de dés, l'un noir aux points blancs, l'autre blanc aux points noirs. Elle éteignit les phares et les lumières, ferma les portes. Et ensuite ? Elle avait à présent un bus en état de marche au beau milieu d'une forêt. Que pouvait-elle en faire ? Que pouvait-elle faire ? Que devait-elle faire ? Dormir, d'abord et avant tout dormir. Elle tituba jusqu'à une double place, s'y allongea lourdement. Elle eut l'impression d'être dans la gueule d'un monstre, puis sombra dans le sommeil.
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La Voix (Version 1)
Short StoryLa version réécrite est trouvable ici: https://www.wattpad.com/story/147946710-la-voix-version-2 Une jeune fille sans nom marche seule dans la forêt. Elle tombe sur une autre femme dans un bus prête à l'amener à l'abri, mais est cependant rattrapée...