Tu es dans une pièce sombre. La lumière semble venir du sol. Elle est verdâtre. Des murs émane une lueur rouge foncé. Tu t'en rapproches. Sous tes pieds, le sol est mou, un peu collant. Tu t'arrêtes net en voyant ce qu'il y a sur, ou plutôt dans le mur. Tes yeux s'écarquillent d'horreur. Ce sont des visages, humains, animaux, figés. Ils ont l'air de souffrir horriblement. Ils te regardent. Tu remarques qu'ils bougent légèrement, comme s'ils étaient encore vivants. Tu recules d'un pas. Tu ne veux plus voir cela. Mais, tout autour de toi, les murs se sont rapprochés, ils t'emprisonnent de leur expression de souffrance, d'agonie. Tu hoquètes. Tu es glacée de peur. Mais soudain, tu sens quelque chose de froid t'agripper la cheville. C'est froid et dur. Tu soulèves ta jambe. C'est une main dont le bras décharné sort du sol. Une autre main t'attrapes l'autre cheville. Les deux tirent vers le sol, comme pour t'y enfoncer. Tu voudrais hurler, mais c'est comme si tu avais oublié comment il fallait faire. Les mains t'immergent lentement. Le sol t'engloutis. Tu rejoins les visages déformés par la douleur.
Elle se réveille en sursaut. Il lui semble que de minuscules pics de glace s'enfoncent dans sa peau. Sur ses chevilles, elle a encore la sensation des mains qui l'agrippent, la tirent dans le sol. Dehors, il fait nuit. Le bus est arrêté. Il n'y a pas de lumière. C'est alors qu'elle remarque qu'elle est allongée, et que, contre elle, est Héloïse, endormie, paisible. Elle se lève d'un coup. Il faut qu'elle sorte, qu'elle oublie tout cela, qu'elle s'immerge dans l'obscurité réconfortante, qu'elle fuie peut-être, loin de celle qui la conduit vers l'inconnu. Sa Voix revient, impérieuse. Elle ne veut pas l'écouter. Est obligée. Elle secoue la tête, ouvre la porte, sort.
Dehors, la nuit est fraiche. Les arbres, immobiles. Il n'y a pas un souffle de vent. Tout semble arrêté. Comme si le temps n'avait plus son cours, ou comme s'il n'existait pas ici. Les images de mes cauchemars semblent être attachés à mon esprit par des fils d'araignée, qui m'engluent. Je pose la tête contre un arbre et gémis. Ça fait si mal... je m'en écarte. Titube un peu. Les arbres tanguent, se penchent vers moi, s'écartent. Je tombe, face contre terre. L'odeur du sol emplit mes narines, c'est salé, acide, ça embrume mon esprit de vapeurs aiguisés. Je grogne. Gratte la terre. Trouve un caillou, pointu. Je le sers dans ma main comme pour l'y enfoncer. Je ris. La douleur de vivre, de souffrir m'est amusante, hilarante. Je.... une voix tranche le voile sur mon esprit et mes yeux. C'est Héloïse et une lampe torche.
Elle se relève. Essuie sa bouche, le sang sur sa main. Elle dit ''je suis là'', en agitant les bras et en allant vers elle. ''Tout va bien'', ajoute-t-elle. ''Rentrons'', répond Héloïse. La passagère s'assoit devant, face à la route, et ne bouge plus. Seules ses lèvres s'agitent encore parfois. Sa conductrice retourne dormir. Puis vient le matin, et le Soleil aux rayons étouffés. Et la route reprend son défilé, toujours cahotante.
Ta conscience s'embrume à nouveau. Les arbres qui passent à toute vitesse devant tes yeux ne forment plus qu'une bouillie morne et verte. Des pensées surgissent dans ton esprit, mais tu ne les regardes pas. Elles fondent et disparaissent, éphémères tentatives pour te faire sortir de ta torpeur. Tu ressens tout ton corps, non pas comme une unité, mais comme des parties, les éveillées et les endormies. Ta jambe et ta paume d'où s'écoulent ton sang t'envoient des messages de douleur et tentent de capter ton attention. Tes narines attrapent de l'air et l'évacuent ensuite. Le reste de ton corps n'a pas plus d'existence et de consistance qu'une brise ou qu'une vitre transparente. Le bus s'arrête, et tu vois Héloïse se tourner vers toi. Tu te vois te lever
et, sans avoir l'air de la regarder, comme si son esprit était perdu ailleurs, elle embrasse Héloïse. Doucement, presque comme un souffle d'air sur ses lèvres. Puis elle retourne s'assoir, et ce fut comme si ce temps n'avait pas existé. La conductrice la regarda sans comprendre. Elle se demandait si elle avait rêvé. Sur ses lèvres, comme l'impression qu'un papillon l'avait caressée.
VOUS LISEZ
La Voix (Version 1)
Short StoryLa version réécrite est trouvable ici: https://www.wattpad.com/story/147946710-la-voix-version-2 Une jeune fille sans nom marche seule dans la forêt. Elle tombe sur une autre femme dans un bus prête à l'amener à l'abri, mais est cependant rattrapée...