De la chambre où j'avais élu domicile je vis l'automne arriver. A la fenêtre je voyais Les couleurs entourant ma maison changer peu à peu. Le matin sous la brume mon ancienne demeure m'apparut porteuse d'une extrême nostalgie, je n'en apercevais que l'extérieur mais ce que je voyais me plongea dans une profonde tristesse. J'imaginais la solitude de An. Seule , errant tel un fantôme au milieu du vide. J'oubliais parfois de l'épier et me réfugiait sur le lit , avec des larmes dans les yeux.Je voulais alors en finir avec ce paysage et la maison du sourd. La pensée d'y mettre le feu me traversa l'esprit; je n'en fis rien car je ne voulais pas qu'An. Se sente en danger à cause de moi et s'éloigne encore .N'en pouvant plus un jour j'abandonnais mon observatoire et je m'installais au bureau avec la ferme intention d'écrire.Je gribouillais quelques mots , commença une histoire aux accents glauques d'une femme désespérée qui voulait quitter sa propre famille sous prétexte que son mari était malade . L'histoire terminée je jetais les pages du manuscrit dans la poubelle . Ce texte détruit fût pour moi une révélation . Pour la première fois de ma carrière d'écrivain je ne parlais pas de personnages du passé ancrés dans l'histoire comme je le faisais d'habitude .Avais-je changé? La maladie de An. M'avait-elle transformée moi aussi, transformé jusqu'à ma propre écriture? Je devins alors curieux de moi-même, observant mon esprit et mes pensées, oubliant la maison du sourd.Je pris un carnet de poche et commença à noter des impressions fugitives , des sentiments qui traversaient mon esprit. Je fis même des petits dessins au crayon pour alimenter mes méditations. Chaque jour mon carnet se remplissait davantage de mots et phrases qui devinrent un matériau nouveau pour un nouveau livre ...
Le livre, mon livre racontait ma vie romancée; An. En était le personnage principal et moi un homme qui la rencontrait pour la première fois; Je réécrivis notre histoire dans une fiction qui me la rendait enfin supportable. La maison du sourd avait disparue , An. N'était plus malade et l'amour nous réunissait enfin loin du réel oppressant.
Par ma plume la vie redevenait supportable,je retrouvais une certaine joie de vivre.Mais ce réel imaginaire avait ses propres limites, l'écriture du livre fût rejoint par la réalité qui ne m'oubliait pas;en effet quand arriva le 25 décembre, jour de l'anniversaire de notre rencontre avec AN. Je décidai de lui envoyer un présent . Je choisis un bouquet de fleurs chez un commerçant et lui fît porter; De ma chambre je guettais tant soit peu sa réaction et la découvrit qui vint à la rencontre du facteur , de ma fenêtre je l'imaginais plus que je ne la voyais. Plus tard dans la journée alors que le soleil se couchait elle ressortit de la maison tenant mon bouquet dans sa main , elle s'avança vers le lac les fleurs à bout de bras;Je pensai qu'elle voulait se séparer de mes fleurs en les jetant dans l'eau, mais elle n'en fît rien et s'avança imperturbablement sur une rive . Arrivée au bord de l'eau elle enleva ses chaussures et rentra dans le lac, je restais comme fasciné par ce que je voyais et n'eut pas l'idée d'appeler de l'aide. Quand ses hanches furent cachées par l'étendue , elle disparut complètements dans l'étendue d'eau...
An. repose aujourd'hui dans le petit cimetière du village , je ne suis jamais revenu dans la maison du sourd.