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                La chambre était sombre. Seule une lampe de chevet éclairait les lieux, lançant des lueurs orange sur les meubles. Ceux-ci semblaient mourir doucement, dans une douce plainte, comme jetés eux aussi dans une maison de repos miteuse. Leur bois était rongé par les termites, leur peinture s'écaillait en formant un réseau complexe de fissure et de la poussière s'accumulait à leur surface. Le lit était le meuble le plus imposant, occupant le centre de la pièce. Il était surmonté d'une épaisse couverture au motif floral immonde. A ses pieds, un guéridon soutenait une tasse de thé encore fumante. Avec un de ses pieds ne touchant pas le sol, il semblait en perpétuel déséquilibre, pouvant basculer à tout moment. A l'opposé, un piano attendait discrètement que quelqu'un s'assoie derrière son clavier tellement sale qu'on ne pouvait plus distinguer les touches noires des blanches. A droite de celui-ci pendait une poignée dont la fonction était d'alarmer le corps médical en cas de problèmes. Une armoire massive surplombait la scène, écrasant les autres meubles de sa grande ombre sombre, et juste à côté de la fenêtre se tenait une petite coiffeuse à l'allure coquette mais démodée.

Devant le miroir ovale de celle-ci, Angélique se brossait les cheveux en silence, soutenant son propre regard dans la glace. Lorsque Charles était entré dans la pièce, elle avait subitement fermé les yeux puis les avait doucement rouverts sur son propre visage, comme pour éviter tout contact visuel avec son frère. Le jeune homme, après avoir vite caché son cadeau dans un coin sombre, était alors resté dos à la porte pour examiner la pièce, sa figure prenant peu à peu l'expression du dégout. Puis son regard se posa sur la figure de sa sœur dans le miroir, essayant de voir s'il elle avait changé depuis sa dernière visite. Non, elle portait toujours le même visage rond au teint beige, toujours les mêmes lunettes qui lui donnaient un air d'enfant sage, les mêmes cheveux blonds qui tombaient en cascade sur ses épaules... Elle était restée la même, son expression faciale figée dans une calme tristesse. Depuis la disparition de leur mère, Angélique n'avait plus ce sourire qu'elle affichait auparavant, même dans les moments pénibles. Elle avait perdu sa mythique joie de vivre, celle qui la faisait rire pendant les repas de famille, celle qui la faisait chanter de sa douce voix... Elle semblait maintenant constamment absente ou mélancolique, bouleversée par la moindre chose. Cela désolait Charles mais il en avait finalement pris l'habitude. Quand il rendait visite à sa sœur, il savait qu'il ne rirait plus comme avant. C'est peut-être pour cela qu'il venait de moins en moins. La mort ne lui avait pas seulement enlevé sa mère, car Charles était persuadé que sa mère était bel et bien décédée, mais aussi sa sœur, son ancienne sœur.

Enfin, l'homme se décida à entamer la discussion, brisant le lourd silence :

« Bonjour Angélique... »

Aucune réponse, seulement le bruit de la brosse ratissant la chevelure. Charles persista :

« Ils t'ont mis un piano à ce que je vois...

— Il est désaccordé... »

Sa sœur avait lâché ces quelques mots d'un ton nonchalant, comme si elle se parlait à elle-même. Le jeune homme s'approcha de l'instrument et appuya sur une des touches. Un bruit désagréable et tremblotant s'échappa des entrailles du piano, une longue plainte déraillant comme un vieux train poussiéreux. Charles grimaça. Il se rappela un instant des morceaux qui envahissaient jadis la maison familiale, lorsqu'Angélique jouait sur le piano droit de leur mère. Elles avaient toutes deux pris des cours mais le niveau de la fille avait vite dépassé celui de la mère, des valses, des balades et des sérénades résonnant régulièrement dans leur demeure parisienne. Mais dans cette chambre sombre, c'était le silence qui régnait en maître et les belles berceuses n'étaient plus qu'un lointain souvenir.

Dans la maison de ma tanteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant