Chapitre 2
Des journées qui suivirent, Mary ne devait conserver qu'un souvenir confus et désagréable. La visite du coroner, venu tout exprès de Maidstone pour constater la cause du décès et délivrer le permis d'inhumer, ne fut guère qu'une formalité. Par égard pour la jeune fille, et après s'être entretenu avec le forgeron et avec le médecin, il conclut à une mort accidentelle suite à une mauvaise chute de cheval. La jeune fille lui sut gré de sa délicatesse, qui lui épargnait une enquête publique pénible à laquelle elle ne savait trop comment elle aurait réagi.
Sa vie, jusqu'alors, avait été exempte de soucis matériels, ainsi qu'il convenait à une jeune fille de la bonne société, destinée à ne quitter la tutelle paternelle que pour passer sous celle de l'époux qu'on lui choisirait, nanti de préférence d'une fortune convenable. Et voici que, en l'absence d'une mère, d'un frère, ou d'un quelconque parent proche qui eut pris les choses en main, elle devait par elle-même faire face à un certain nombre de préoccupations immédiates, dont la moindre n'était pas l'organisation des obsèques.
Elle dut, faisant taire ses préventions, faire venir le révérend Thomson, qui ne manqua pas de lui faire remarquer au passage d'un ton fielleux, « qu'il l'avait bien dit » et que « certaines jeunes personnes seraient bien avisées de se fier à l'expérience de leurs aînés ». Ils convinrent de fixer la cérémonie au surlendemain, ce qui laisserait le temps aux amis, aux connaissances, et probablement à une bonne partie de la population du comté, de venir rendre un dernier hommage au défunt.
Après en avoir parlé avec Martha et Walter, Mary avait jugé que le plus simple serait que le corps soit exposé dans le grand salon. Jack et son épouse se chargèrent de la toilette mortuaire, et un cercueil simple – car la jeune fille, tout autant que son père, détestait l'ostentation – fut confectionné et livré en un temps record par le charpentier du village.
Mary s'avisa également qu'elle n'avait pas de vêtements de deuil : la dernière et unique fois qu'elle avait dû revêtir des vêtements noirs, c'était à l'occasion du décès de sa mère, et elle avait douze ans à l'époque. Convoquée à son tour, la couturière, Miss Higgins, leva les bras au ciel. Il était hors de question qu'elle puisse s'acquitter de la confection d'une telle robe dans un délai aussi court.
- Mais j'en avais cousu une pour votre mère, Miss, il y a longtemps, et si vous avez conservé ses effets, vous me paraissez avoir tout à fait les mêmes mensurations.
Mary esquissa un geste de refus. Elle aurait pu compter sur les doigts d'une main le nombre de fois où elle était entrée dans la chambre de sa mère depuis le décès de celle-ci. Autant qu'elle le sache, son père n'y avait pas touché, et elle était restée telle que huit ans auparavant. Toutes les semaines, Martha l'aérait et en faisait le ménage, mais Mary, lorsqu'elle passait devant la porte ouverte, préférait détourner le regard.
Néanmoins, elle se rendit dans la pièce, accompagnée de Miss Higgins et de Martha, qui alla tirer les lourds rideaux de chintz, laissant entrer à flots le gai soleil du printemps. Grâce à l'entretien de la fidèle gouvernante, pas un grain de poussière ne venait ternir la surface polie des meubles de merisier, que Jane, sa mère, préférait au sombre acajou ou au chêne pesant. Et les tentures, le couvre-lit, les tissus des fauteuils, avaient conservé tout l'éclat de leurs couleurs chatoyantes. Mary frissonna : sur la coiffeuse, dans le boudoir attenant à la chambre, une brosse et un peigne d'argent semblaient avoir été juste déposés là par leur propriétaire.
Se reprenant, elle entreprit d'ouvrir les placards. La mémoire de Miss Higgins ne l'avait pas trahie : il y avait bien là une robe de grand deuil et plusieurs autres vêtements noirs, que Jane avait dû porter à l'occasion de deuils familiaux (mais lesquels ? Mary n'avait aucun souvenir que la mort soit venue assombrir les lumineuses journées de son enfance). Et la couturière avait doublement raison : l'essayage confirma que la robe lui allait parfaitement, aucune retouche ne serait nécessaire.
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Pour l'amour d'un capitaine
Historical FictionAventures et passion sous le Second Empire.