Chapitre I

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Un vent coléreux souffle sur wall street, une petite rue située au sud de l'arrondissement de Manhattan. Alors que le soleil à laisser place à la lune depuis déjà de nombreuses heures, les rues sont toutes aussi bondées qu'un samedi après-midi.

Planqué dans une allée sombre où quelques sans abris rodent, j'observe ce fameux bar branché avec attention, en espérant que ma cible en sorte bientôt. Je le surveille depuis quelque temps, cinq jours pour être exact et je sais déjà quelles sont ses habitudes. Tous les soirs par exemple, il fuit le foyer conjugal pour retrouver ses amis et faire la tournée des bars. Du haut de ses 38 ans, il aurait pu, comme beaucoup d'autres, être un mari fidèle et un patron respectable, mais son parcours vacille sans se concrétiser, le laissant ainsi seul face à ses échecs.

Pendant cette attente qui semble indéterminable, deux femmes s'arrêtent prés de moi. Elles sont habillées légèrement et ont un maquillage bien trop fantaisiste pour leur âge. L'une d'elles rajuste ses atouts pour les mettre en valeur avant de s'adresser à moi.

– Salut mon beau, qu'est-ce que tu fais dehors à une heure pareille ? Tu cherches quelque chose ?

Mon regard sombre et perçant fait en général fuir bon nombre de personnes. Mais ces dames, bien qu'elles soient trop mûres à mon goût, persistent à rester devant moi. Heureusement, il m'en faut plus pour me déconcentrer sur mon objectif. L'autre renchérit, ses yeux à la limite de sortir de leur orbite.

– Tu veux un peu de compagnie ?  
– '' Bougez ! '' Fut le seul mot qui sortit de ma bouche en les voyant s'approcher de plus belle.  
– Tu ne sais pas ce que tu rates chéri...  

J'arque l'un de mes sourcils en entendant sa réponse qui ne me surprit guère. Finalement, ce regard, plus menaçant que jamais les fit fuirent à grandes enjambées. Elles ont beau être deux pour se protéger et veiller l'une sur l'autre, elles ignorent sur qui elles peuvent tomber à une heure pareille. Elles auraient pu être l'une de mes cibles et dans ce cas, j'aurais mis fin à leurs minables jours, ou bien, elles auraient pu tomber sur un psychopathe, sans règle de vie, qui prend plaisir à se mouiller les mains du sang de ses victimes. Je jette un rapide regard à ma montre et constate que l'heure fatidique approche.

Bingo. 02H35, ils sortent enfin. Cet homme est réglé comme une horloge, du moins, il l'était. L'un de ses amis a préféré rester au bar, ne se sentant pas en mesure de rentrer seul, il attend qu'une jeune femme lui fasse de l'oeil. Les trois autres partent chacun dans leur direction en se souhaitant bon retour à la vie réelle. Pendant ce temps, je l'observe et le suis à distance raisonnable, il lui arrive quelquefois de tituber et de manquer de tomber. Sa barbe datant d'une semaine montre un relâchement évident. Vêtue d'un jean troué beaucoup trop large pour lui, ainsi que d'une veste de costard froissée qu'il transporte sous le bras, je constate que cet homme manque cruellement de style.

Enfin, il finit par tourner dans une ruelle peu éclairée, celle où j'ai prévu de mettre fin à ses jours. Non pas parce que j'en ai envie, mais parce que je n'en ai pas le choix. Même si sa triste vie me supplie d'en finir au plus vite, je ne prends jamais de plaisir à faire ça. Je vérifie autour de moi que nous sommes bien seuls avant d'enfiler mes gants et de sortir de ma poche intérieure la fine lame qui me sert d'arme. L'acier du poignard et froid et produit en moi un frisson que je refoule aussitôt. Le fait qu'il soit papa d'une petite fille âgée de deux mois aurait pu me retenir, mais qu'est-ce qu'une vie parmi tant d'autres ? Pour moi, c'est un travail que je me dois d'accomplir, et peu m'importe ce que les proches de cet homme pourront ressentir par la suite.

L'homme prend appui sur l'un des murs et vide le contenu de son estomac. L'odeur est infecte et me provoque un haut-le-cœur. Instinctivement, je porte ma main à mon visage et me tourne pour éviter le spectacle. Il finit par repartir quelques minutes après, en essuyant d'un revers de main, les restes de dégueulis qui lui contournent la bouche. Un coup de pied suffit à le faire tomber au sol. Pris dans un moment de panique, l'homme se retourne, croise mon regard et comprend qu'il ne s'en sortira pas en voyant le couteau dans l'une de mes mains. La lame transperce le tissu de sa chemise blanche et pénètre dans sa poitrine avec facilité pour finalement finir sa route au cœur de toute vie. Sans se débattre, l'âme du bon monsieur quitte son corps comme un oiseau quitte son nid à maturité. Aussitôt, une mare de sang recouvre ce corps vide qui gît au sol. Je prends la peine de prendre son porte feuille, pour faire croire à une agression commise par un sans abri. Dans tous les cas, sans preuves ni témoins, l'affaire serra classée sans suites dans les deux jours qui suivront. En temps normal, j'aurai pris la peine de faire toute une mise en scène pour faire croire à un accident ou à un suicide, mais dans certains cas, une mort rapide et logique à la vie qu'il menait, surtout à une heure pareille, suffisait amplement.

Darren CrossOù les histoires vivent. Découvrez maintenant