3. Convoité

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Mardi matin, la classe suit le cours de littérature du professeur Gauthier depuis un moment déjà. Celui-ci les questionne sur Ronsard alors que les élèves écoutent plus ou moins attentivement. Complètement distrait, Mathieu a manqué le début de la leçon. Comme la répétition d'hier a bien marché, il se dit que Gauthier l'a « à la bonne ».

La vérité, c'est que même si les apparences sont sauves, il passe le plus clair de son temps dans un pays imaginaire où César prend beaucoup de place. Les deux n'ont pas eu l'occasion de parler de leurs ébats depuis. Mathieu se comporte seulement en ami, en dissimulant ses vrais sentiments. Mais dans sa tête, de nombreux fantasmes prennent forme. Au milieu de ses pensées plus ou moins lubriques, il se surprend à écouter un peu le cours à cause d'une phrase accrocheuse.

PROF. GAUTIER — Pourquoi brûla-t-il ses « Folastreries » ?

Plusieurs élèves levèrent la main

PROF. GAUTIER — Cédric.

CÉDRIC – Parce que le Parlement lui en a donné l'ordre.

PROF. GAUTIER — Bien.

Pendant ce temps, César rédige un billet à Mathieu. À sa gauche, Corinne, l'espionne copieusement. Puis il plie le papier, et le transmet discrètement à Karen de l'autre côté.

PROF. GAUTIER — Comment le surnommèrent ses pairs ?

Quelques assidus se manifestent.

PROF. GAUTIER — Alexis.

ALEXIS – Le Petit Prince.

Certains pouffent de rire.

PROF. GAUTIER — (s'avançant vers lui) Non, c'est bien essayé, mais ils l'appelaient le Prince des poètes.

À ce moment, Karen choisit de passer le message à Damien, son voisin de table. Ces deux-là sont assis dans la rangée jouxtant celle de Mathieu et Alexis. C'est tellement visible que l'instituteur ne peut le manquer. Il se dirige vers Damien et lui tend sa main ouverte en l'apostrophant :

PROF. GAUTIER — Donne-moi ça, voyons donc ce que le courrier nous amène.

César reste bouche bée. Toute la classe est maintenant attentive lorsqu'il déplie le mot.

Prof. Gautier — (récitant) Pour Mathieu : Voudrais-tu venir chez moi jouer à Street Fighter demain ? T'en fais pas, mes parents seront absents. Signé César.

La plupart des étudiants éclatent de rire, à part l'auteur qui fulmine, et Mathieu qui est vraiment gêné.

CÉSAR — Vous n'avez pas le droit.

PROF. GAUTIER — Mais bien sûr que si, vous êtes censé suivre mon cours, Monsieur Fontaine.

Il marque une pause, comme pour attendre une réponse, mais l'élève baisse les yeux.

PROF. GAUTIER — Le plus embêtant, c'est la faute d'orthographe, vous avez une de ces manies d'oublier le « ne » de la négation, tout le temps !

CÉSAR — (bredouillant) Mais je...

PROF. GAUTIER — Jeudi après la classe, une heure de colle.

César soupire et, dans un haussement d'épaules, accepte sa punition. Mathieu se tient la tête et songe à quel point ils ont eu chaud.

PROF. GAUTIER — Et vous trois, les complices, estimez-vous heureux d'en réchapper pour cette fois.

À l'heure de la pause, les deux camarades se retrouvent.

CÉSAR — (toujours déconfit) Désolé.

MATHIEU — C'est toi le plus gêné.

CÉSAR — Si tu le dis.

MATHIEU — C'est d'accord pour mercredi.

D'après son intuition, y a un sens caché à l'expression « jouer à Street Fighter ». Mais il décide de ne pas l'embarrasser plus et se sent satisfait de passer du temps avec lui, quelle que soit leur activité.

CÉSAR — Gauthier, il m'a tanné. D'habitude, il est pas comme ça.

MATHIEU — Ouais, t'as raison. Il est en rogne. Je pensais pas qu'il te collerait, après tout ce que t'as fait pour la pièce de théâtre.

CÉSAR — Il a beau être sympa, ça reste un prof.

MATHIEU — Quand même mec, t'aurais pu attendre la pause pour m'en parler.

CÉSAR — Ça m'est venu comme ça...

À la fin de la journée, Mathieu se sent un peu frustré de ne pas pouvoir confier ses pulsions. Il ne sait pas trop comment s'y prendre avec César. Tout lui dire au sujet de son béguin semble trop risqué, une approche en douceur paraît bien meilleure.

L'incident pendant la leçon l'a rendu honteux de ce qu'il éprouve. Il ne connaît rien de l'homosexualité, si ce n'est des insultes et quelques blagues douteuses. L'impression d'être seul au monde s'empare de lui sans prévenir, comme si son cas est unique. Dans son esprit, sa famille attend de lui qu'il fonde un foyer. Cela lui a été inculqué depuis toujours, au point qu'il se sent coupable d'aimer César.

En parler en classe c'est impensable, il y en a qui se sont fait passer à tabac pour moins que ça. En entrant au lycée, il avait entendu des rumeurs sur un « terminale » qui fréquentait un mec plus âgé. Tous les élèves se moquaient de lui depuis qu'on l'avait découvert. Le peu de fois où Mathieu l'avait croisé en sortant des cours, il se tenait seul, contre le muret à l'entrée de l'école, l'air malheureux. L'exclusion lui semble un bien cruel châtiment. De plus, il devine que ses parents en feraient tout un fromage. Ses sentiments sont plus faciles à vivre de manière secrète, même s'il déteste déjà cette hypocrisie.


After School [boyxboy]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant