Avec ou sans sucre ?

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Les vagues s'écrasent contre la falaise. Il est encore tôt, aux alentours de cinq heures du matin peut-être. Me lever en plein milieu de la nuit sans pouvoir me rendormir m'arrive fréquemment. Alors, sans réveiller Armand, je sors de l'appartement et me rends ici. Il n'y a jamais personne, juste moi. Je n'ai pris qu'un gilet et le regrette amèrement : je grelotte de froid. Mais, pour rien au monde, je ne rentrerais dans mon logement. La nuit m'enrobe encore, le ciel se reflétant dans l'eau.

Je joue avec un caillou trouvé par terre. Un morceau qui s'est arraché du rocher, par la force et le temps. Contre sa volonté. Comme on m'a retiré ma mère. Elle était tout ce que j'avais. Sans elle, je ne suis plus grand-chose. Elle était la personne à qui je me confiais. Je me suis toujours montré très proche d'elle. Toutes les deux, nous étions complices, sûrement plus qu'une mère et une fille normales. Mais nous nous en fichions pas mal, nous étions bien ainsi. Nous pouvions compter l'une sur l'autre.

Il ne faut pas croire, nous nous disputions aussi. Lorsque je suis entrée dans l'adolescence, je me suis légèrement éloignée d'elle. Pas trop non plus, juste de la façon dont on s'accroche au bord de la patinoire de peur de tomber. On s'en détache sans aller loin. Elle me couvait beaucoup et cela avait le don de m'énerver. À cause de cela, nous nous sommes disputées plus d'une fois. Elle n'aimait pas vraiment que je sorte le soir. De mon côté, je n'appréciais pas qu'elle ne me fasse pas confiance. J'étais sa fille et elle ne voulait pas qu'il m'arrive quelque chose, voilà tout. Je ne l'ai compris que plus tard.

Il a fallu que Denise parte. Je lui en ai voulu. Elle m'avait laissée seule, sans personne. Je ne savais pas quoi faire ni vers qui me retourner. Alors, j'ai passé plusieurs mois à la détester. Toutefois, je n'aurais pas dû. Ma maman n'était pas partie de son plein gré comme mon père. Elle était malade et les traitements s'avéraient chers. Ma mère m'avait caché sa maladie un long moment. Lorsqu'elle me l'a apprise, je suis entrée dans une colère noire. Pourquoi ? Deux raisons à cela. Parce que j'aurais aimé être là. Et parce que je savais qu'on m'enlevait Maman. Je ne cessais de me demander ce que j'avais commis pour mériter ceci. Je tournais le problème dans tous les sens et je n'ai toujours pas trouvé la solution.

Peut-être qu'il n'y en a pas, tout simplement. Après tout, c'était sûrement le fruit du hasard. Dans ce cas, mon arbre ne produit pas beaucoup de bonnes baies.

Si je crois au destin ? Oui. Selon moi, ma vie est déjà toute tracée. Même si l'on modifie quelque chose, ce changement était déjà écrit. Néanmoins, cela ne représente pas une privation dans mes choix. Cette idée me réconforte. De cette façon, je pouvais haïr quelqu'un pour tout ce que j'ai pu vivre. Je suis athée, je ne crois en aucun Dieu. Je crois en ma destinée, c'est différent.

De toutes mes forces, je jette mon caillou dans la mer. La falaise étant plutôt haute, je ne l'entends même pas tomber dans l'eau. Avec les vagues, je ne vois pas les ronds provoqués par sa chute dans l'immensité bleue.

Il faudrait que je rentre.

Cependant, je m'octroie encore quelques minutes de solitude avant de retourner chez moi pour aller travailler.

* * *

Toutes les personnes habituées à leur café matinal sont assises à leur table attitrée. En ce qui me concerne, j'en profite pour me restaurer de mon côté, au bar. Un verre de jus d'orange et un croissant me font office de petit-déjeuner.

— Salut, Rosie, me salue Ambre.

Cette femme blonde aux reflets légèrement roux et aux yeux marron n'est autre que la petite fille de Jacques. Elle est légèrement plus jeune que moi, mais son caractère parfois enfantin est ce que je préfère chez elle. Légère, elle ne se prend jamais la tête. J'adore me trouver en sa compagnie. Pour tout dire, je n'ai pas des masses d'amis. Pourtant, ce que je possède me suffit. Ambre ne vit pas à Collioure, elle vient très souvent ici pour voir sa famille.