1 Janvier

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Aujourd'hui, nous commençons une nouvelle année. C'est le premier Noël que nous passons sans toi. Le premier Jour de l'an où tu n'es pas là. Cette période de fête a été sinistre, sombre.

Nous l'avons passé avec toute la famille à la maison. Ils avaient tous l'air joyeux sauf papa et grand-père. Ton décès les a beaucoup affectés. Tous les oncles et les tantes sont passés un à un voir papa en lui donnant une tape sur l'épaule et déblatérant des conneries. Tante Aude aussi est passée le voir, elle lui a dit que Noël était encore plus emmerdant sans toi ce qui a fait rire papa. Comme d'habitude elle a su trouver les mots justes, malgré ton départ, elle n'a pas perdu son humour. C'est bien pour ça qu'elle est ma tante préférée.

La soirée s'est détendue vers le repas. Tout le monde souriait, même papa s'est efforcé de le faire.

Pour ma part, je suis resté en haut des escaliers durant tout ce temps. J'ai regardé notre famille, j'ai écouté les conversations et j'ai eu l'espoir de te voir passer dans le couloir en portant le plateau avec la dinde rôtie.

Grand-père est passé me voir, me demandant ce que je faisais tout seul. Je lui ai dit que je n'avais pas le cœur à faire la fête. Je n'ai pas eu besoin de tout lui dire ; il savait. Il s'est alors assis avec moi et nous avons regardé les autres ensemble. Puis il m'avait dit que malgré ton départ c'était le cycle de la vie, que la mort était une étape à franchir un jour où l'autre. Je n'ai pas répondu à cela. Il est parti quelques minutes après me laissant de nouveau seul.

Lorsque minuit s'était approché, tout le monde s'est réuni dans le salon et a commencé à faire le décompte. Puis ils se sont embrassés. Des cris de joie ont fusés partout dans la maison, un véritable brouhaha. C'était une nouvelle année qui débutait, une année sans toi. Une année où tout le monde déciderait de faire son deuil et d'oublier, mais pas moi. Je n'ai embrassé personne et suis allé m'enfermer dans ma chambre laissant derrière moi la fête qui se déroulait dans notre salon.

Une fois ma lettre terminée, je la plie soigneusement et la fais glisser dans une enveloppe puis la ferme.

Une horrible migraine me prend soudainement, le sang martèle mes tempes. Mes paupières sont lourdes, j'ai terriblement envie de dormir. Ma langue a encore le goût du champagne et semble peser dans ma bouche. Je m'étais réservé ma propre bouteille que j'avais sifflé à moi tout seul dans les escaliers je n'avais même pas laissé grand-père en boire une gorgée. Papa ne m'avait pas interdit de boire de l'alcool cette fois-ci. Il était très strict à ce sujet. Étant un ancien alcoolique il avait toujours refusé de me laisser boire mais je suppose qu'il avait voulu me laisser faire cette année ou alors il avait été trop débordé pour se soucier de moi.

Je me lève mollement, prends ma veste et mes chaussures puis sors de ma chambre. Je descends les escaliers sur la pointe des pieds pour ne réveiller personne. La moitié de ma famille était restée dormir. C'est un véritable squat dans mon salon, on croirait voir des sans-abri.

Je fais mes lacets et perçois un mouvement du coin de l'oeil. En levant la tête mon regard croise celui de ma tante Aude. Ses cheveux bruns ne sont plus qu'un amas de paille sur son crâne et des traces violettes soulignent ses yeux sombres. Elle est le portrait craché de ma mère et à chaque fois que je croise son regard, mon coeur fait un bond de joie avant de se dégonfler comme un ballon. Elle tient dans ses mains une tasse de café brûlante et me fixe d'un air absent.

-Où vas-tu à cette heure ci? me demande-t-elle d'une voix rauque.

-Au cimetière, lui répondé-je la voix tout aussi brisée qu'elle.

Elle se met à rire doucement.

-Tu n'as pas bu que de l'eau hier soir dis-moi.

Je rigole à mon tour.

-Tu ne vas pas me faire croire que toi oui.

-Tu veux que je t'accompagne?

-Non, rétorqué-je fermement puis voyant son air abattu je me reprends, désolé, je ne voulais pas paraître impoli. Mais je préfère y aller seul, c'est mon rituel à moi, tu vois.

-Je comprends.

Elle me fait un sourire triste. Puis jetant un dernier regard à ma famille semblable à des clochards, je sors de chez moi avec ma lettre dans les mains. Le froid me fait l'effet d'une gifle. Je serre les pans de mon manteau contre mon corps en quittant l'allée dégagée.

Cette année nous avons eu la chance d'avoir de la neige, il doit y avoir une trentaine de centimètres. Je vis en Bretagne dans le Morbihan, les bretons ont la fâcheuse réputation d'habiter dans la région où il fait le plus moche. Ce qui n'est pas vrai puisqu'en été nous avons souvent du soleil. Ce qui n'est pas le cas aujourd'hui bien évidemment.

Le sol est recouvert d'une couche de neige et il est impossible de voir à plus de deux mètres de soi tant la brume est épaisse. Je frissonne sous mon manteau, je sens ma peau devenir glaciale et mes lèvres se craqueler.

Malgré le fait de lutter contre le temps tous les matins, je sors toujours de chez moi pour poser ma lettre sur sa tombe. Quand ma mère venait de mourir suite à son cancer, j'ai pris l'habitude d'écrire des lettres où je raconte ma journée avant d'aller au cimetière. J'étais très proche d'elle et lorsqu'elle était encore là, je lui racontais toujours mes journées. Lui écrire ces lettres est comme pour lui montrer que je pense toujours à elle. Que je ne l'oublie pas.

Une fois arrivé devant le cimetière, je pousse le vieux portail qui grince sur ses gonds. Je m'avance dans l'allée, les cailloux craquent sous mes pas. Je connais le chemin par coeur et peux le faire les yeux fermés. Je me dirige jusqu'au fond du cimetière là où les tombes sont les plus récentes. Puis je m'arrête devant la sienne. Une simple pierre tombale en pierre rouge avec son nom, sa date de naissance puis celle de décès avec une photo d'elle à côté. Des plaques telles que À notre fille, À notre soeur ou autre sont posées ici et là avec des fleurs pour rendre le tout un peu plus gai.

Je prends la lettre et la dépose dans la boîte cachée derrière le pot de roses. C'est là-dedans que je mets toutes mes lettres depuis trois mois environ. Puis je ferme la boîte et la remet à sa place.

Je reste debout, le regard perdu dans le vide. Mes yeux ne se détachent pas du doux visage de ma mère. Elle semblait si paisible sur cette photo. Elle avait encore ses cheveux et ses yeux brillaient de joie, son teint était éclatant et son sourire des plus ravissant qui soit. Puis elle avait perdu ses cheveux à cause de la chimiothérapie, ses yeux avaient perdu de leur éclat et son teint était devenu terne. Son sourire avait disparu. Je l'avais vu périr à petit feu. Elle avait tant bien que mal tenté de me dire qu'elle allait bien, que ce n'était rien et que tout allait s'arranger. Mais je n'étais pas stupide. J'avais l'âge de comprendre et j'avais su qu'elle allait bientôt nous quitter.

-Tu nous manques à tous, dis-je dans un souffle.

Un bruit se fait entendre et je fais volte-face. Je cherche du regard le moindre signe de vie mais le cimetière est mort. Et pourtant le bruit se répète.

-Il y a quelqu'un? demandé-je.

Mais seul le silence me répond. Je déglutis en enfonçant les mains dans mes poches. Puis je pars, le cœur serré.

Trois mois et dix-neuf jours. C'est le temps qui s'est écoulé depuis que ma mère nous a quitté. Laissant derrière elle un vide immense impossible à combler.

Voici le premier chapitre d'une nouvelle histoire. J'espère qu'il vous plaira. N'hésitez pas à voter et laisser un commentaire.

les lettres de GabrielOù les histoires vivent. Découvrez maintenant