Aaron rajusta son col de chemise et se regarda une dernière fois dans le miroir. Il sortit de la salle de bain, se dirigea vers son lit et il poussa son pot de chambre. L'âge n'arrangeait pas. Sous son lit, il saisit son Colt 45, vérifia qu'il était bien chargé. C'était le grand jour, il allait enfin en finir. Ajouter un nouveau nom à la liste commencée il y a soixante ans.
La guerre avait contraint les Seizman à se cacher dans des caves. Aaron y avait passé toute son enfance. Enfermé, coupé du monde, vivant dans la peur.
Nous mangeons en silence dans la cave. Rebecca et Sarah se font des grimaces, alors que Papa et Maman ont la mine sombre. On frappe à la porte d'entrée. J'entends une porte qui grince, puis un coup de feu. Que se passe-t-il en bas ? Je me colle à Maman, en espérant que ma peur disparaisse. Papa nous ordonne à tous de rassembler toutes nos affaires car nous devons partir. Il ouvre la porte de la cave, et se trouve face à face avec des hommes en noirs. Des nazis. Je connais leur costume, tout noir. Tout à coup, ils braquent leurs armes sur nous. Je profite de ce moment pour me cacher dans le recoin le plus sombre de la cave. Tout ce qui se passe ensuite est très rapide, d'abord un coup de feu, puis un autre. J'ai les yeux fermés, et quand je me décide à les ouvrir, j'ai en face de moi les corps sans vie de mes deux grandes sœurs. J'ai très peur. Une peur bleue. J'entends une troisième, puis une quatrième détonation. Je ne peux rouvrir les yeux, je n'ai pas envie de voir Papa et Maman dans le même état que mes sœurs. Lorsque les hommes en noirs partent enfin, je me mets à pleurer. Ces hommes, les nazis, qui veulent dominer le monde entier, sont des personnes horribles qui ne méritent pas de vivre.
Depuis ce jour, Aaron Seizman vouait une haine profonde aux nazis, à leurs descendants. Il s'était juré qu'il les tuerait, tous. Il n'avait jamais trahi ce serment. Depuis l'assassinat de sa famille en 1944, Aaron Seizman a éliminé quarante-huit nazis et dix-neuf de leurs descendants. Il s'apprêtait à aller tuer le vingtième, présent au mariage de sa propre fille.
Dans le taxi qui l'amenait au lieu du mariage, Aaron répétait son plan. Lorsqu'il descendit du véhicule, il se dirigea vers le couple de futurs mariés. Sa fille, Sarah, l'accueillit avec un grand sourire tandis que son compagnon lui tendit chaleureusement la main. Aaron Seizman serra sa fille dans ses bras : la dernière étreinte avant longtemps. Il demanda au futur marié de le suivre à l'écart.
« - Dis voir, commença Aaron Seizman, combien de sourires comme le tien ton grand-père a-t-il définitivement fait disparaître ?
- Mais enfin c'est ridicule ! Qu'est-ce que vous racontez ?
Aaron changea instantanément de ton. Il parlait maintenant avec une immense froideur.
- Mes deux grandes sœurs ont chacune leur tour reçu une balle dans la tête, ainsi que mon père et ma mère. Ils ont été assassinés devant moi, par les nazis. Ces hommes ne méritent pas de vivre.
Henrik commença à comprendre où voulait en venir le vieil homme.
- Aaron, vous êtes fou, vous n'avez plus toute votre tête.
Le vieil homme s'approchait de plus en plus de lui.
- Et puis vous n'allez pas me tuer le jour de mon mariage avec la femme que j'aime. Si vous comptez me tuer, pauvre fou, je dois au moins dire au revoir à votre fille...
- Pensez-vous que les nazis ont attendu que mes parents m'embrassent avant de se faire assassiner ? »
Henrik Flitzerman savait que c'était la fin. Aaron Seizman dégaina son arme, et sans hésitation, tira une balle qui se logea au milieu du front de Henrik, tout comme les balles nazies, soixante ans plus tôt, dans le front de ses sœurs.
