Terrestre

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Il y a une seconde, je n'avais pas de nom, pas de passé. Je n'étais que pure énergie. Je sais que j'ai été vivant il y a un temps infini, autour d'une étoile rouge et mourante. Mon espèce avait atteint l'apogée de ses capacités techniques mais ne pouvait échapper à la mort certaine que nous promettait la transformation de notre étoile en géante rouge. Nous allions mourir, pas dans l'instant mais dans quelques millénaires tout au plus. Alors certains d'entre nous ont tenté l'ascension, la transcendance de l'esprit dans une dimension non physique. J'étais l'un d'eux. J'étais un Eol. Depuis, cette galaxie avait effectué dix rotations complètes. Mais le temps n'a plus la même saveur lorsqu'on n'y est plus soumis. Les millénaires sont passés mais cette vie est comme mille vies ou une seconde. Seul le parcours est intéressant, pas le temps qu'il a pris.

Puis j'ai trouvé cette planète aux composantes si passionnantes. Une seule espèce dominante. Pas de pollution particulière. Une planète chaude mais pas trop avec énormément d'eau et une diversité peu commune. Peut-être grâce à cette lune énorme et inhabituelle qui l'accompagne dans sa course autour de sa petite étoile. J'ai retrouvé de douces similitudes avec ma vie passée dans leurs pratiques, ma vie d'être physique.

Comme eux nous avions conquis toute notre planète. Et comme nous, l'harmonie semblait régner sur cette civilisation. Des individus à la peau claire habillés de simples toges marchaient sur de larges chemins de pierre. Je suis resté longtemps à les observer en secret. Certains avaient l'esprit déjà si ouvert, qu'ils sentaient ma présence et tentaient de m'atteindre.

Puis je suis partis faire un tour dans les systèmes avoisinants. Mais quelque chose était née dans mon esprit, une idée. L'envie de sentir à nouveau le vent sur ma peau. Connaître le frisson de la vie. Voir ce peuple avait réveillé en moi un envie que j'avais depuis longtemps oubliée. Je décidai donc de revenir vers cette planète dont je ne pouvais occulter l'attrait. Le temps avait passé sur cette dernière mais je n'y prêtai guère d'attention. Il me fallait fouler sa surface. Je traversai l'atmosphère et je m'approchai du sol . Je ne voyais pas au sens où les êtres de chair voient. Je percevais l'énergie simplement. La vie était partout sur cette planète, dans le sol, dans l'air, de la forme la plus infime et unicellulaire aux êtres complexes qui évoluaient à quelques dizaines de mètres de mon essence. Il y avait aussi toute cette énergie artificielle. Ce monde avait beaucoup évolué durant ma courte absence. Ces ondes étaient pour moi comme une musique que je peinais à décrypter.

Puis je perçus ce corps qui venait de mourir. Je sentis l'énergie de sa conscience s'échapper et se dissoudre dans l'éther puis rejoindre cette brume inconsciente. Ce brouillard psychique qui inaugurait les prémices d'une société à devenir post-physique. Il s'écoulerait encore tant de temps avant qu'ils n'y arrivent. J'avais vu tellement de créatures arrivant à ce stade nettement plus limitées dans leur capacité.

Je venais toucher le corps de mon aura, l'envelopper. Il était allongé sur le sol, une plaie dans le flanc qui avait touché le muscle qui, pour cette espèce, servait à faire circuler le sang. Je trouvais cela passionnant. Je me rappelais peu ma propre enveloppe, mais nous n'avions pas ce type d'organe. Notre sang était poussé dans le corps par des micro-muscles tout le long du système circulatoire. En tout cas la blessure quoi que mortelle, était simple à réparer pour un être éthéré comme moi. Une simple question de stimulation énergétique.

Je m'immisçai dans son corps et son esprit et activai les fonctions au niveau cellulaire pour réparer la plaie dans son cœur. Le cœur, le nom de l'organe était logiquement dans la mémoire biologique de mon hôte. Il y avait encore suffisamment d'énergie dans ce dernier pour que la réparation fonctionne. Sa biochimie et moi avions lié efficacement nos essences. À mesure que ma psyché reprenait pied dans une réalité physique, le temps reprit sa place dans mon processus de pensée. Je ne fus plus cet esprit dénué d'acte, mais un être de pensées qui se suivaient dans un ballet de réflexions. Mon hôte me donna un nom. Ryan... Et il me désigna sous le nom de parasite ou de démon. Quelque chose d'assez négatif pour celui dont je prenais l'existence. Il était... Étrange... À mesure que je soulevais ses souvenirs résiduels, je reprenais conscience de tout ce que j'avais oublié sans un corps... Un corps...

Celui de mon hôte était prêt. Le cerveau sous mon impulsion s'éveilla et l'incroyable machine biologique se mit en route. J'entendis pour la première fois depuis des temps immémoriaux. Les fluides de ce corps coulèrent dans les veines...

Alors je ressentis cette sensation incroyable. Une douleur extrême dans ma poitrine.

***

Mon cœur bat une première fois, puis une seconde. La douleur est une sensation si magnifique.

Je vis.

ParasiteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant