Vivre

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Alors que j'inspire cet air pour la première fois, je sais immédiatement que ce n'est pas normal. Une odeur de fumée, de sang, de terre retournée. Alors j'ouvre les yeux et ce que je vois occulte le bonheur de voir à nouveau.

Où que se porte mon regard, je ne vois que des ruines. De mon corps jusqu'à l'horizon, il n'y a que débris et feu, pas de plante, pas de vie en surface. Une explosion retentit à quelques dizaines de mètres, me vrillant les tympans et me laissant sourd pendant de longues secondes.

C'est la guerre.

Jusqu'à présent je ne me rappelais plus de ce mot, mais il est bien réel. Mon hôte vivait cette guerre depuis son enfance. Dans ses yeux je vois la couleur du ciel passer du bleu magnifique au rouge terne issu des cendres des explosions. Lorsque les nuages par intermittence se dégageaient suffisamment, le soleil brûlait la peau. Cette espèce avait maîtrisé l'atome et l'avait utilisé contre elle-même. Où que mes pensées me mènent, je ne me rappelle que la colère, la haine et la peur. Ce monde est mourant. Les espèces animales ont été réduites au silence par ce conflit et l'air lui-même est intoxiqué par les radiations ainsi que d'autres poisons. Comment cette espèce autrefois si prospère avait-elle pu prendre un tournant si monstrueux...

La terre noire s'abreuve du sang des morts. Je suis submergé par les émotions de mon hôte, ce sont ses amis qui gisent à quelques pas de moi. Je sens les larmes couler sur mon visage... J'avais oublié ce que c'était de ressentir quelque chose...

Et puis soudain, une autre émotion le submerge, un souvenir s'impose à mon regard. Un visage. Celui que mon hôte aimait avant de mourir. C'est tellement étrange de ressentir ça, si merveilleux. Je suis bouleversé, elle était à mes côtés en mourant, elle ne pouvait pas être loin. Je me lève doucement, tremblant. Je tourne sur moi-même expérimentant cette sensation d'être collé au sol par la gravité. J'essaye de me refréner. Ces sentiments, ces souvenirs ne sont pas les miens mais ceux de mon hôte au moment de mourir. Et pourtant je ne peux m'empêcher d'avoir peur pour cette femme. Ces souvenirs sont maintenant mes souvenirs. Une autre explosion fait s'effondrer les restes d'un immeuble à une centaine de mètres de ma position, soulevant une imposante quantité de poussière.

Je cours vers un pan de mur noirci. Je dois me mettre à l'abri. Peut-être que celui qui a tiré la balle qui m'a abattu est encore à l'affût. Je passe dans ce qui fut un salon et ensuite de pièce en pièce sous ce ciel noir de pluie. Tout à coup j'entends des coups de feu très proches. Je tressaille, j'ai peur... Vivre est beaucoup plus intense que je ne l'avais estimé... Puis je passe un angle et me jette derrière la carcasse d'une voiture.

C'est alors que je la vois, elle est de dos. Elle tire sur un ennemi invisible. Je m'approche doucement, invisible. Elle est seule.

- Lydia...

J'ai prononcé son nom sans vraiment savoir qui elle est. Je sais juste que mon hôte l'aimait. Je sais juste que je l'aime.

Elle se tourne vers moi et ses yeux expriment une surprise presque risible. Un espoir, une incompréhension. Je sais qu'elle m'a vu mourir quelques minutes auparavant. Mon sang recouvre une grande portion de sa veste. Elle ne comprend pas comment je peux être devant elle, vivant. Comment lui expliquer sans la faire souffrir. Je ne veux pas qu'elle souffre, je veux la serrer contre moi.

ParasiteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant