Chapitre 1: "Enjoy The Silence":
Toutes les nuits, je fais exactement le même rêve: je suis en sous-vêtements, à quelques mètres d'un gouffre, au bord d'une falaise. Je me trouve dans un paysage lunaire et aride et je suis, bien évidemment, seule. Puis, prise d'un élan inattendu, je m'élance en direction de ce gouffre avec une rapidité fulgurante. Et enfin ce qui devait arriver arrive à chaque fois: je me jette du bord de cette falaise et je fais une remarquable chute libre avant de m'éveiller en sursaut comme toujours, même si l'habitude aurait pu m'épargner cette réaction excessive. Ce rêve me procure toujours une certaine sensation de soulagement, mêlée à de la peur, car c'est comme si je quittais cette enveloppe charnelle qui m'emprisonne en le faisant de la façon la plus belle qui soit: en m'envolant pendant une fraction de seconde.
Après ce réveil brutal, je m'extirpe de ma paillasse pour aller boire au lavabo, tout aussi blanc et immaculé que ce qui se trouve dans cette pièce sans fenêtre et éclairée par une ampoule dénudée, projetant une lumière éclatante sur les murs trop propres, si éclatante qu'elle en vient à vous fatiguer les yeux. Après en avoir profité pour faire une rapide toilette de chat, je m'habille de ma blouse blanche. Il est 9h30 et l'infirmière ne va pas tarder. Elle me connait depuis que je suis arrivée là (c'est à dire il y a environ 6 mois) et elle a dés le début compris, comme moi, que je n'avais rien à faire ici. En effet, toutes les personnes présentes dans cette hôpital sont folles à lier (à part ceux qui y travail, et encore...). Moi je suis simplement différente, dangereuse et indésirable, comme il vous plaira... On m'appelle affectueusement Le Monstre, La Chose, La Demi-Humaine, Le Rebut, etc. J'ai beaucoup noms sans vraiment en avoir car ici je suis officiellement le numéro 251, occupante de la "cellule spéciale". Mais je ne suis en réalité qu'un rat de laboratoire, un cobaye victime de sa destinée.
Quoi qu'il en soit, j'ai toujours fait beaucoup d'effet aux autres pensionnaires, mon apparence ayant la fâcheuse tendance à faire ressurgir leurs plus profondes névroses ou peurs, sous forme de crises d'épilepsie ou de hurlements terrorisés (oui, les fous sont bruyants, surtout quand l'hôpital refuse de me donner mes médicaments qui me donne une forme humaine, sous prétexte de restriction budgétaire; et évidement tous ces cris ne font pas bon ménage avec mon ouïe très développée).
De toute façon je n'ai plus beaucoup de temps à tirer dans ce trou malsain et infect, car ce soir je vais m'enfuir avec la complicité de cette fameuse infirmière. Mélanie (c'est son prénom) devrait me faire sortir par une porte à l'arrière du bâtiment, donnant sur une cours clôturée par un grillage que je pourrai escalader sans problème majeur, même sans avoir à utiliser mes donts monstrueux (je suis très agile de nature: enfant, avant que mon corps et mon esprit esprit soient mutilés par la science, je pouvais grimper joyeusement aux arbres).
L'opération d'évasion se déroulera à 12h30 précise, en plein service des repas, le moment où les autres infirmières et le reste du personnel de l'établissement sont les plus occupés à contenir l'agitation des pensionnaires dont la folie est attisée par le besoin vital de se repaître. A les voir comme ça je me dis que la folie a bien au moins un avantage: la dignité et l'honneur ne font pas partie de leurs préoccupations alors qu'elles rythment et guident la vie de toutes personnes aptes à supporter le vie en société. C'est ici le terminus de ceux tombés dans l'hybris sans jamais pouvoir se relever, ceux qui se sont fais submerger par leurs pulsions. Même s'il existe aussi le cas de ceux nées fêlés parce qu'on les aurai bercé un peu trop près du mur. Pour ma part je suis relativement stable psychologiquement, en tout cas assez pour envisager un retour dans le "Monde des Vivants" (c'est comme ça que j'appelle le monde de dehors, car ici tous les pensionnaires ont un regard vide, sans expression, morbide et vitreux comme des cadavres). Ma réinsertion est possible si je me contrôle et prend mes médicaments. Ma modification génétique destructrice ne s'éveillant que quand je suis confrontée à des conditions extrêmes entrainant des réactions violentes ou des malaises, comme celui que j'éprouve en voyant des personnes folles ou malades; pas de chance pour moi n'est-ce pas ? ma "transformation" étant considérée comme un moyen de défense par mon corps, et un moyen de vouloir encore plus me cacher par moi.
Il est donc 12h30, Mélanie vient me récupérer seule comme prévu (armée d'un taser fournie par le service de sécurité en cas de "crise"), nous descendons au rez-de-chaussée sans croiser quiconque et sans aucun problème, nous sommes même les seules dans les couloirs puisque tout le monde se trouve au réfectoire. Notre plan semble fonctionner à merveille jusqu'à ce que, arrivées dans la cour extérieure nous tombons nez à nez avec deux infirmières en pause cigarette. Me voyant arriver dans ma blouse blanche, elles courent vers nous pour tenter de nous arrêter. "Le pensionnaire 251 de type dangereux tente de s'évader", éructe la plus vieille des deux infirmières dans son talky-walky, se laissant devancer par sa collègue plus douée à la course qu'elle. Nous montons une volée d'escaliers mais Mélanie se prend les pieds dans une des marches et tombe au sol, se faisant fouler du pied par notre poursuivante. Elle semble avoir perdu connaissance mais je ne peux pas rebrousser chemin pour lui venir en aide. Aveuglée par la peur et le désir, le besoin même de sortir d'ici je cours dans les couloirs et grimpe d'étage en étage sans réfléchir un seul instant. Je me trouve désormais au sommet du bâtiment, au 20 éme étage, l'infirmière est toujours derrière moi mais j'ai réussi à creuser un écart non-négligeable entre nous deux en renversant chaises et autres fauteuils roulants sur mon passage, créant ainsi des obstacles à sa progression.
Mais je suis face à une impasse: devant moi se trouve une porte, faisant office d'un cul de sac à un couloir vide et sans cellule. Avec la force désespoir je l'ouvre violemment. Mon visage est alors fouetté par une bourrasque d'air frais; je peux enfin revoir la lumière du jour après 6 mois vécus dans ce trou à rat! Quelle joie, quelle délectation ! Mais je ne peux me laisser distraire pas de telles contemplations exquises dans un tel instant, car j'entends déjà derrière moi la respiration haletante et le pas rapide de l'infirmière coriace. Une seule possibilité s'offre à moi: sauter dans le vide avec l'espoir de m'en sortir vivante.
Je recule dans de quelques pas, prends une profonde inspiration, ferme les yeux et laisse l'adrénaline monter en moi. Je me sens progressivement de plus en plus puissante, de plus en plus déterminée à sauver ma peau coûte que coûte. Je suis soudainement prise de vertiges, de bourdonnements d'oreilles, ma tête me tourne, ma respiration s'accélère et la circulation de mon sang avec... Ma transformation est en train d'avoir lieu.
Je décide d'ouvrir les yeux après ces quelques secondes de malêtre, et une partie de mon apparence monstrueuse me saute aux yeux: mes jambes se sont allongées et couvertes d'une fourrure noire et soyeuse, se terminant par de puissantes pattes griffues (il en est de même pour ce qu'on peut appeler mes bras). Ma masse corporelle a doublé (je le sais car ma blouse ne me couvre que partiellement), ma vue, mon ouïe et ma perception de ce qui m'entoure sont plus aiguisées, plus sensibles.
Je me sens prête maintenant à faire le grand saut, comme dans mon rêve de toutes les nuits. Je recule un peu plus, fléchi mes membres postérieurs et m'élance vers le vide. Cette chute, qui dans mes rêves m'apparaissait comme un moyen salvateur de me détacher de mon enveloppe charnelle, m'apparaît, à cet instant précis, comme le moyen de prendre enfin conscience que je peux quand même tirer partie d'une telle mutation physique, l'environnement de l'hôpital étant mille fois plus oppressant que mon propre corps.
La chute me semble longue, je vois le sol se rapprocher peu à peu de moi et je pris de toutes forces pour que le chat que je suis retombe effectivement sur ses pattes.
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Chat Noir, Blouse Blanche
Science FictionCela doit faire quelques mois que je suis dans cette cellule d'une blanc étincelant, dépourvue de fenêtre. J'y ai été placée, parce qu'à l'issue d'une expérience des plus répugnantes, mon apparence est devenue intolérable pour l'oeil humain. Mais je...