CHAPITRE 5 - Mémoire

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Vous voyez, je vous l'avais dit. Si vous apprenez à les maîtriser, les mots peuvent devenir votre arme la plus précieuse. Mais je n'ai abordé le sujet que partiellement. Je vous ai parlé du mal qu'ils pouvaient provoquer, mais je ne vous ai jamais dit tout le bien qu'ils pouvaient faire. La scène à laquelle je viens d'assister est un des nombreux exemples du bien que vous pouvez faire juste en parlant. La méthode est la même que celle que je vous ai expliqué plus tôt. Rappelez vous. Apprenez à apprivoiser vos victimes, à lire en elles dès les premières secondes de votre rencontre, à mettre à nu chacune de leurs cicatrices. Mais cette fois pour les guérir totalement. Les mots sont une force brute. C'est comme un super pouvoir dans la vraie vie. Il n'en tient qu'à vous de choisir quoi en faire.

Jade et Pierre sont sortis du jardin. Ils ont passé le pas de la porte main dans la main, silencieux, apaisés, et amoureux. Une autre personne se tient à cet endroit à présent. C'est Andi!

Salut Andi!

Elle ne répond pas. Elle s'avance vers moi sans un mot, et finit par s'asseoir sur l'une des chaises que ses parents ont laissé derrière eux, tête baissée.

Quelque chose ne va pas?

Toujours rien. Si j'avais été un humain, j'aurais pu croire qu'elle essayait d'éviter mon regard.

Andi? Tout va bien?

《Je sais pas.》

Ah, elle a répondu!

Comment ça tu sais pas? Il s'est passé quelque chose ?

《C'est compliqué. 》

Explique moi?

Un léger silence s'installe. Elle hésite un moment. Puis elle répond d'une voix presque inaudible :

《Je ne peux plus rester ici.》

Mais pourquoi ?

《Ils n'ont plus besoin de moi.》

Qui ça ?

Elle attend quelques secondes avant de répondre: 《Papa et maman.》
Comment ça ils n'ont plus besoin d'elle ? Est ce qu'elle aurait entendu et mal interprété la conversation que ses parents ont eu un peu plus tôt ?

Mais pourquoi tu dis ça ? Bien sûr qu'ils ont besoin de toi. Je pense même qu'ils ont besoin de toi maintenant plus que jamais.

Elle reste muette. Elle n'a pas relevé la tête, je ne vois pas son visage. Ce n'est plus une fille qui se tient devant moi, c'est un mur.

Andi? Tu me caches quelque chose? Tu peux tout me dire, tu sais.

《Je ne voulais pas partir.》

Quoi?

Elle lève la tête vers moi. Ses yeux saignaient des larmes qui coulaient de ses joues jusqu'à son cou pour étrangler sa voix.

《Je voulais pas partir ! Je sentais bien que je m'en allais, mais j'ai entendu papa et maman qui m'appelaient, alors j'ai décidé de rester avec eux. Ils avaient besoin de moi. Je les ai suivis partout où ils sont allés, parce que je sentais que je devais rester. Mais ils sont venus ici tout à l'heure, devant toi, et quelque chose a changé. C'est comme si le lien qui m'attachait à eux avait été coupé. C'est toi qui a fait ça ? 》

Bien sûr. Comment ai-je pu être aussi bête? S'il vous plaît, dites moi que vous n'aviez pas deviné non plus. Comment ai-je pu être si naïf ? Était-ce sa petite bouille d'ange qui m'avait aveuglé? Sa petite voix fluette qui m'avait rendu sourd? Était-ce la naissance de cette amitié nouvelle qui m'avait empêché de voir la mort?
Je ne veux pas savoir comment c'est arrivé. Je ne veux pas savoir quand c'est arrivé. Je ne veux rien savoir de tout ça.

Mes pensées se bousculent dans mon esprit. Ses parents qui ne la voient pas. Les jeux d'enfants abandonnés dans le fond du jardin. Autant de souvenirs douloureux mis de côté. Autant de souvenirs dont ils doivent se protéger. Autant de souvenirs qui pourtant reste toujours dans un coin de leur esprit. Car ce sont autant de souvenirs qu'ils ne veulent malgré tout pas oublier. Ils sont les restes de ce qu'ils ont voulu laisser derrière eux en venant ici. Mais ils sont aussi ce qu'ils ne veulent surtout pas oublier.

Andi. Elle n'aurait pas dû partir. C'est pour ça qu'ils avaient besoin d'elle. C'est pour ça qu'elle est restée avec eux. Mais ils doivent apprendre à vivre sans elle. À vivre une nouvelle vie. À renaître. Oui, c'est bien ça qui s'est passé tout à l'heure, une renaissance. La mort n'a plus sa place chez eux à présent.

《Pourquoi tu ne réponds plus? Tu m'abandonnes aussi c'est ça ?》

Son regard me tue. Elle souffre tellement elle aussi.

Andi... Personne ne t'abandonne.

《Arrête de mentir! Je vois bien que mes parents ne veulent plus de moi! Ils me laissent toute seule alors que moi je suis toujours restée avec eux!》

Non, c'est pas ça du tout... Tes parents ne t'abandonnent pas, ils doivent apprendre à vivre sans toi. Ils ne t'oublient pas, et ils ne t'oublieront jamais. Mais ils doivent te laisser partir.

《Donc je dois les quitter, c'est ça ? Je ne peux plus rester avec eux?》

Je suis désolé de devoir te dire ça, mais oui. Tu comprends, ils ont besoin d'enfin pouvoir vivre en paix.

《Mais, et moi? Qu'est ce que je vais faire? Où est ce que je vais aller? Je ne veux pas rester seule !》

Hé bien, tu peux rester avec moi. Nous sommes amis n'est ce pas?

Elle ne répond rien. Mais tout son être rayonne de joie. Elle renaît, elle aussi.

Au final, tout se finit bien, non? Les parents d'Andi ont appris à tourner la page. J'ai trouvé une amie. Elle a trouvé un refuge. Vous savez, je vous ai déjà dit que nous les arbres étions des êtres spéciaux. Avec nous, vous pouvez être sûr que vous ne serez jamais oubliés. Même si tous vos proches oublient votre existence, vous serez toujours dans un coin de notre mémoire. Dans chaque cerne que vous pourrez compter sur nos troncs se cachent les souvenirs de tous ceux que nous avons pu rencontrer, que ce soit pendant 10 secondes ou 10 ans.

CytiseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant