Je sentis les larmes me monter aux yeux presque instantanément. Je crois qu'inconsciemment, mon esprit avait mis Yaëlle à part, dans la catégorie des personnes auxquelles on tient et...qui ne peuvent pas mourir. La scène que j'avais devant les yeux ne laissait malheureusement pas de place aux doutes et me fendait le cœur.
— Hayden...sauve-là...fait quelque chose, me demanda Connie d'une voix que ses sanglots retenues rendaient méconnaissable et à la limite de l'intelligible.
Je savais qu'elle ne me demandait ça que pour retarder la prise de conscience dévastatrice...mais elle savait. Quelque part au fond d'elle-même, elle savait qu'il ne pouvait pas rester de vie dans ce corps à moitié déchiqueté par les éclats de grenades. Je voulais le lui dire, l'aider à appréhender la situation mais...je ne trouvai pas les mots.
Une main chaude et réconfortante vint se poser tout en douceur sur mon épaule et même sans me retourner, je sus que c'était Connors et qu'il était aussi dévasté que nous. Je me contentais de recouvrir sa main de la mienne et nous restâmes là, une minute ou deux sans rien dire, puisant dans ce simple geste le réconfort dont nous avions besoin.
— Hayden, pourquoi tu ne fais rien, demanda à nouveau Connie d'une voix anéantie et pleine de larmes.
— Tu sais pourquoi....Connie, lui dis-je d'une voix que j'espérai douce et apaisante.
— Non...non, ce n'est pas possible. Il...il y a sûrement quelque chose à faire...à...
— Connie, je suis désolée. Si tu savais comme je suis désolée mais...je ne peux rien faire. Il est trop tard pour ça...elle est morte.
À l'entente de ces mots fatidiques, elle s'écroula. Elle s'affaissa sur le sol et se mit à sangloter en silence. Je voulus m'approcher pour la soutenir et la réconforter, mais Connors me retint.
— Laisses-là. Elle a besoin de ça pour accepter et faire son deuil, mais...il va falloir qu'elle le fasse vite, car nous devons bouger rapidement. Sinon, nous allons tous finir comme cette pauvre Yaëlle.
Je savais qu'il avait raison et que ce n'était pas de l'insensibilité de sa part, mais j'avais quand même du mal à bousculer Connie. Pourtant il allait bien falloir s'y résoudre, on ne pouvait pas la laisser prostrée là. C'est alors que l'impensable se produisit. Au moment où je m'approchais d'elle pour l'aider à se relever et l'entraîner vers la sortie...le corps de Yaëlle se mit à bouger.
Non...ce n'était pas possible...elle ne pouvait pas être vivante ! Je restai un instant sans réaction, tandis que Connie se levait d'un bond et se précipitait vers le corps. Car ce n'était bien qu'un corps, réalisais-je soudain en sortant de mon immobilisme. Yaëlle, malheureusement ne pouvait pas être vivante, les mouvements flasques et désordonnés de son corps me le confirmaient, maintenant que le choc et la surprise étaient passés.
En revanche, la personne se trouvant sous son corps, elle, était bien vivante ! Je me précipitai donc à mon tour, pour aider le ou la pauvre malheureuse à sortir de là.
C'est avec réticence que nous saisîmes le corps sans vie de Yaëlle et le déposâmes avec douceur sur le sol. Connie, ayant un instant cru que son amie était toujours en vie, était de nouveau prostrée, n'arrivant pas à faire autre chose que pleurer. C'est donc Connors qui dégagea le plus gros du fouillis, pendant que je l'aidais du mieux que je pouvais, handicapée dans mes mouvements par mes blessures diverses. Nous réussîmes enfin à extraire le frère de Yaëlle, qui à peine sorti, se précipita auprès de sa sœur.
— Elle m'a sauvé, sanglotait-il. Elle m'a jeté à bas du lit et m'a recouvert avec pour me protéger, mais...elle n'a pas eu le temps de me rejoindre...
— Samuel...Connie, je sais que ce que je vais vous demander va vous paraître cruel, commença Connors d'une voix prudente, mais...il faut que l'on parte...tout de suite.
À ma grande surprise, Samuel sécha ses larmes d'un revers de main rageur, passa une dernière fois ses doigts sur les cheveux de sa sœur et se releva sans un mot, un air déterminé sur le visage.
— Tu as raison, allons-y dit-il enfin. Elle ne s'est pas sacrifiée pour que l'on meure tous là comme des idiots. Tu as une arme pour moi, demanda-t-il à Connors d'une voix dure et déterminée.
Celui-ci acquiesça et passant la main dans son dos, saisit le révolver passé dans sa ceinture et le lui tendit, crosse vers l'avant. Il le prit sans un mot, l'arma et saisissant la main de Connie d'un geste ferme, l'entraîna vers la porte sans un regard en arrière. Son attitude pouvait paraître froide et déplacée, mais je savais toute la force qu'il lui avait fallu pour réagir de la sorte. Il fallait avancer, nous n'avions pas le choix, il avait donc décidé d'agir et je le respectais beaucoup pour ça. Ce qui ne m'empêcha pas de le stopper dans son élan.
— Samuel attends ! Il faut que je vérifie tes points de sutures, l'appelais-je tandis que je me pressais de le rejoindre.
— On a plus le temps, siffla Connors entre ses dents. Il faut que l'on bouge et tout de suite.
— S'il se vide de son sang sur le trajet ça nous mènera à quoi, lui rétorquais-je ? Ça ne prendra que quelques secondes.
Samuel se laissa faire à contrecœur, visiblement très pressé de quitter la pièce où sa sœur était morte pour le sauver...ce que je pouvais parfaitement comprendre. Les cicatrices étaient rouges et boursouflées, du fait des efforts qu'il avait dû faire pour s'extraire de sous le lit, mais elles n'avaient pas cédé, c'était déjà ça. Je remis en place le bandage en le serrant au maximum.
— Ca va, mais ménage toi dans la mesure du possible. Sinon les points vont lâcher.
Il se contenta de me faire un petit signe de tête tout militaire et nous suivîmes enfin Connors, qui était au bord de l'apoplexie, dans le couloir. Nous avancions prudemment et à une allure de tortue étant tous blessés, à l'exception d'Oliver qui nous servait d'éclaireur. À part des cadavres, nous ne croisâmes personnes dans les couloirs labyrinthiques, ce qui était pour le moins étrange et de mauvais augures, si vous voulez mon avis. Ce qui devait également être l'opinion de Connors, car une fois arrivé en vue du couloir menant à la salle de la citerne, il nous fit signe de nous arrêter.
— Tout ça ne me dit rien qui vaille, c'est trop calme.
— Ils sont sûrement tous parti maintenant. Ils comptent sur le reste des bombes pour finir leur sale boulot, répondit hargneusement O'.
— Peut-être...mais soyons prudent quand même. O', c'est toi le plus rapide donc tu passes le premier et on te suit.
— Comme ça si ça pète, ce sera pour ma pomme ! Nous dit-il avec un grand sourire pour essayer de dédramatiser la situation...ce qui ne marcha pas vraiment.
Il partit comme une fusée vers l'autre extrémité du couloir et nous retînmes notre souffle tout le temps que dura sa course. Aucun coup de feu, ni aucune explosion ne se produisit et c'est passablement essoufflé mais indemne, qu'il s'arrêta devant la porte les deux mains posées à plat sur le battant.
— C'est bon allons-y, confirma Connors en vérifiant une énième fois que la voie était libre avant de s'engager à découvert.
Nous arrivâmes nous aussi sans encombre devant les deux battants de bois, et c'est avec un immense soulagement et un sentiment d'urgence extrême que nous poussâmes les portes...et nous retrouvâmes....avec les canons d'une dizaine de fusils, braqués sur nos têtes.

VOUS LISEZ
Isolated System - Tome 1
Science Fiction*Vainqueur du concours Award Rentrée 2016 dans la catégorie science-fiction* Hayden fait partie des survivants. Descendante des quelques centaines de chanceux, rescapés du grand cataclysme ayant ravagé la terre, une centaine d'années auparavant...