J'aime bien ce temps

Chapitre 2

Il frappa ses mains sur la table. Cefut assourdissant, soudain. Et elle sursauta à nouveau, laissanttomber dans un fracas métallique des plus désagréable unecuillère, éclaboussant par la même occasion le carrelage rougebrique et les placards en chêne alentour. En soupirant, Eva se munid'un torchon, qui gisait sur le plan de travail en granit noir, sebaissa et essuya l'eau savonneuse avant de se redresser et de lebalancer à l'autre bout de la pièce, près de l'entrée.

Puis, elle retourna à sa besogne.

Elle savait qu'il bouillait de colère,qu'il allait imploser d'une seconde à l'autre, à se mettre àhurler comme un malade et finalement à l'empoigner avec force pourqu'elle lui fasse face.

Elle aurait des bleus.

-Tu n'iras nulle part. Comme tu l'asjustement fait remarquée il fait un temps de merde. Et il faut qu'onparle, insista-t-il à nouveau.

Cette fois-ci, elle prit le parti del'ignorer. Il grogna, et bougea sur sa chaise.

Une brise, emplit de pluie, d'herbesfraîche et de feuilles vint balayer son visage, agitant les cheveuxtrop court pour être prit dans sa queue de cheval et elle sourit.Parce qu'elle aimait ce temps.

Allan gâchait son moment. Il lafatiguait et l'éprouvait bien trop souvent.

-Je ne partirais pas. Je ne quitteraispas cette baraque tant que nous n'aurons pas réglé nos affaires.

Affaires.

Elle était quoi ? Un putain declient ? Une pute à deux sous à qui on refile vingt euros, unpréservatif et un chewing-gum à la menthe après une pipe et unelevrette dans les chiottes crasseux d'une station service ?

Là. Maintenant, Eva ne voulait plus seconcentrer sur sa vaisselle face à la fenêtre ouverte de sa cuisinesur un orage.

Elle lâcha le gros couteau à viandequ'elle tenait. Un truc qui avait appartenu à feu sa mère. Enargent massif, qui tomba comme une bombe dans son évier en pierre.

Elle se tourna vers lui, le fusillantdu regard. Elle n'avait jamais eu peur d'Allan. Malgré son mètrequatre-vingt-dix, son allure de vikings, ses épaules larges etpuissantes, sa mâchoire carrée recouverte d'une barbe savammententretenue qui lui donnait un air sauvage à peine dompté, et sonregard bleu glacier qui vous faisait clairement comprendre à quelpoint vous n'étiez rien. Juste là. Présent, existant, mais rien.

-Quoi ? Qu'est-ce que tu veux,Allan ? Hein ? Il n'y a rien à dire, ce n'est pourtant pascompliquer à retenir, si ? Je veux dire, c'est toi qui a faisune grande école, tu devrais saisir, quand même ?

Il la détailla de sa chaise, le regardfroid, inexpressif. Il l'évaluait, comprit-elle. Jaugeait sesréactions, ses chances de réussite. Comment aborder le sujet sansqu'elle ne récupère le couteau de sa mère pour lui enfoncer siprofondément dans la gorge qu'elle lui sectionnerait trèscertainement chaque artères, chaque veines, vaisseaux et la trachéeaussi.

Comme ça il ne demanderait plus àparler. Plus jamais.

-Je ne vais pas te dire que je suisdésolé. Ce n'est pas le cas.

Eva plissa les yeux, de plus en plusmauvaise :

-Ce n'est pas ce que je te demande.

-Je ne vais pas non plus avoir laprétention de te promettre de ne jamais plus recommencer.

Elle savait tout ça. Qu'ils n'étaientpas ensemble, qu'ils pouvaient voir d'autres personnes. Par contre,elle ne savait pas pourquoi elle était en colère, si pleine deressentiment, de rage. Mais elle avait eu mal. Ça l'avait blessée,avait détruit une petite partie de son âme, avait anéantie sanaïveté. Et c'est peut-être pour ça qu'elle lui en voulait. Ellene savait pas très bien.

Un souvenir, doux-amer, réminiscenced'un passé, d'une vie si lointaine que les voix devenaient des sons,sans réel importance, les personnes des fantômes, les rires uneutopie.

« L'amour est la plus bellechose en ce monde, ma princesse, ne l'oublie jamais et chérie-le. »

Sa mère avait étéune personne aimante. Gentille. Attentionnée. Affectueuse.

Elle avait étéune maman.

-Mais je ne veuxpas te perdre, continua-t-il, inconscient de son trouble, de ladouleur lancinante qui brûlait chaque centimètres carrés de sonêtre.