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Le Hic

Quand il est mort, les premiers mots que j'ai prononcé, quatre jours plus tard, d'un ton nonchalant et vaguement enjoué étaient : "Oh tu sais, la vie continue".
Kalys a écarquillé les yeux et nous sommes allés faire le marché pour la fin de la veillée de ce soir avec Océane , la tante et Jinell , la sœur.

Nous avons acheté beaucoup de choses et dans ma tête, tout riait.
Etrange. J'ai entendu ce rire toute la journée sans pouvoir mettre un souvenir dessus.
J'ai aussi longtemps regardé Jinell. Elle ressemble tellement à son frère. Pendant la préparation du repas, elle m'a prise la main dans le sac.

Jinnel s'est contenté de me sourire et de rattacher ses mèches en une queue de cheval sur son dos à découvert.
Je l'ai toujours trouvé belle. Un jour je me rappelle même avoir été jalouse de sa complicité avec son frère.
Quand nous avons terminé de cuisiner, je me suis portée garante pour faire la vaisselle. Océane m'a gratifié un baiser et un regard triste comme pour me dire qu'elle aurait voulu que je le devienne vraiment, sa belle-fille. Au final, elle l'a dit.
J'ai quelque peu perdu l'équilibre mais je me suis vite repris. Quelle manque de contenance !
Je me suis assise sur le tabouret et j'ai commencé par trier les assiettes.

" Je t'aide?"

J'ai levé les yeux et c'était Kalys, encore. Cette fille est une bulle d'amour.

" - Non ça va repondis-je
- Je vais juste te tenir compagnie alors ajoute-t-elle en s'asseyant.
- Vas y. On va causer un peu aussi. Comment il va Malié ?
- Oh il va bien même, mais pourquoi cette question?
- Juste pour savoir dis-je en rigolant
- Huuum laisse mon frère tranquille deh, je te vois venir rétorque-t-elle amusée mais néanmoins suspicieuse. Il va te gâter ta joie
- Tu sais pas les mauvais garçons c'est mon truc?
- Ahh quitte! Moi je te connais Sajya ! Romantique comme tu es, et capricieuse là, même pas deux jours, tu vas le saouler "

Nous partons dans un fou rire sans raison avant de se rappeler que ça n'était pas l'endroit approprié pour cela. J'ai terminé de laver en silence jusqu'à sa phrase.

" - La mort c'est dur hein. Je l'avais vu à peine avant-hier. Tout souriant et sapé comme toujours...ah vraiment...
- Hum ...
- Il était malade?
- Oh tu sais pas? À ce qui parait c'est un braquage qui a mal tourné
- Hum... Ou un reglement de compte hein. Tu vois les jeunes hommes trop beaux, trop riches dès la jeunesse là c'est terrain miné mama
- Comment ça? Dis- je en la regardant , offusquée
- Ohr, mais les magouilles . C'est sûr il a touché parce que sa maison deux étages là c'est fini trop vite. Tout le monde le trouvait déjà suspect.
-Ah bon? Je dis faiblement. Mais il avait 30ans Kalys
- Et? Avec les galères d'ici, tu peux pas faire ta vie à 30 ans ma sœur, laisse."

Elle riait mais pour moi, intetieurement c'était une offense. Je l'ai toujours admiré Chris, et qu'on me dise qu'il est passé par la sorcellerie pour en arriver là, je refuse simplement d'y croire . Mais à ma collegue je ne dis rien, je préfère mettre fin à la discussion en quittant les lieux.
Il se fait déjà tard quand la veillée commence. Les gens affluent alors de tout quartier pour compatir à la douleur familiale. C'est beau, j'ai toujours trouvé ça beau. Le semblant d'une communauté d'amour, une fraternité réelle, d'une Afrique unie.

Quand Elisa est sortie avec son ventre tout pointu, elle m'a souri. Au fond de moi, cela me ronge. Faudra bien qu'un jour elle le sache. Qu'il ne l'aimait pas même si c'est elle qu'il a présenté.

J'ai vu ses yeux rougis et ses pommettes rougies - chose possible à cause de son teint trop clair. Je l'ai salué.

" - Tu ne restes pas avec moi ce soir Salya?
- Non...tout à l'heure Lili, pour l'instant je ne me sens pas très bien
- Je comprends dit-elle en hochant la tête "

J'ai continué ma route vers la chambre vide qui m'a été attribué par la famille pour que je soutienne sa femme dans son deuil. Moi, son amie. Enfin leur amie.
Elisa et Chris était un couple adorable. Ceux qui n'avaient jamais de problèmes et le "genre idyllique" dont tous revaient. Ensemble depuis le collège, ils ont combattu l'échec et la distance sans jamais rompre une seule fois. Jamais.
Seulement y a un hic. Comme dans toutes les histoires parfaites , ce hic est là. Un "hic" comme un hoquet qui se repète. Un Hic perpétuel. Hic irritant et à force, finit par déranger.

Ce Hic c'est moi.

J'admirais aussi leur couple pourtant être l'amie de deux amoureux n'était pas chose facile. Eh oui, quand on joue l'intermédiaire, aussitôt le rêve se brise. Les défauts et failles sont visibles.
Et un Hic ne sait qu'amplifier les problèmes.
Ça a commencé par un baiser et un " C'est juste pour blaguer"
Puis " Elisa me fatigue. Toi tu ne me crées aucun problème. Je suis bien avec toi"
Jusqu'à "N'en parle à personne".

Je me suis tu.
Quelque part, j'ai permis à ce qu'il continue sa relation avec mon amie
Quelque part j'ai tout détruit.

Je suis entrée dans la chambre et me suis éffondrée.
Il est mort. Chris est mort. Je n'en reviens pas.
Seule ici, je peux laisser les souvenirs peupler ma tête. Je peux me permettre de sentir encore son parfum et de laisser à la place à mon chagrin.
Je pleure Chris parce que je l'ai aimé toutes ses années, beaucoup plus qu'Elisa. Tellement plus.
Il m'en a fallu de la force pour tout supporter. L'entendre me parler de lui, de ce qu'il lui faisait, de ce qu'il lui disait, d'assister à leur mariage. Etre la femme dans l'ombre. La seule qu'il aimait vraiment. Tellement.
Je me rappelle du jour où dans mes bras il a pleuré. Il m'a dit qu'il n'en pouvais plus. Qu'il voulait que ça se termine entre eux.

" Non Chris. Ne fais pas ça. Vous vous mariez bientôt"

Dieu me pardonne de mon mensonge. Je revais qu'il l'abandonne mais en même temps cette sourde peur qu'elle apprenne tout était oppressante.

Ce rire pourtant. Et ce souvenir qui ne revient pas. Ce rire. Ce rire, je le connais pourtant je n'ai pas de visage.
Ce rire est si violent que j'en arrete de pleurer. Il me faut retrouver ce souvenir.

Quelques minutes de silence puis le déclic.
Il faisait chaud. Plein midi. Sur mon lit.
Chris me murmure qu'il m'aime.

" - Je t'aime
- Je n'ai pas de raison de vous croire monsieur rétorquai-je tout de même attendrie par ses paroles.
- Tu veux une raison? On m'a demandé de sacrifier une fille avec qui...tu vois quoi et.. J'aurais un héritier qui sera immensément riche. Héritier de ma richesse bien sûr dit-il
- Et ?
- C'est pas toi que j'ai choisi.
- Hum. Raison bidon
- J'ai vendu Elisa, Sally"

Il semblait triste. D'ailleurs je n'en ai jamais parlé à Elisa ...mais je me suis dit que c'était une blague. Alors j'ai ri, vraiment, tellement.

Ce rire, c'était le mien.

Et si...?Où les histoires vivent. Découvrez maintenant