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20 Avril 2012 * Croisière

~Le plus grand luxe n'est pas l'argent ou le pouvoir, ce ne sont que des moyens qui permettent de s'offrir l'innocence~

En short, je sors de la cabine et m'installe sur le pont supérieur. Les coudes posés sur le bord, je délecte la sensation âcre de la cigarette entre mes lèvres assombries et laisse le vent marin me fouetter le visage en repensant à cette soirée. Ce cauchemar permanent qui me laisse désormais de marbre. Mon téléphone vibre dans la poche arrière de mon jean et je m'en empare dans le geste las.

" - Oui ? dis-je en décrochant

- Tu es où?

- Je prends l'air

- Tout se passe bien là-bas? me questionna l'interlocuteur

- Oui ça va et de ton côté? , mentis-je comme à mon habitude

- Tu me manques Rachel, deux semaines sans toi c'est une torture

- Plus qu'une semaine mon coeur et je reviens. Je dois aller manger là, bye

- Bisous."

Je raccroche rapidement quand une larme s'évade de mon oeil droit. Orlando, mon fiancé me faisait toujours cet effet, je me sens toujours coupable lorsqu'il se montre si affectueux. Tout ce que je me permets de faire dans son dos...enfin tout ce que je permets qu'on me fasse dans son dos.

Tout avait commencé lors de mes quatorze ans, il y a environ huit ans. Etant son unique enfant,mon père, cupide voulait me marier à un riche entrepreneur pour satisfaire ses besoins matériels. Au départ, il me droguait et je me reveillais souvent dans le lit d'inconnus avec une somme d'argent exorbitante pour les "services rendus" et pour ne pas que tout le monde sache que tout cela, ses riches hommes d'affaires le faisaient avec une mineure. Je m'étais rebellé au départ puis mon père m'avait convaincu que c'était pour mon bien, mes études, la survie de notre famille.

Ça faisait mal au début. Les premières fois j'avais pleuré puis mon père m'avait battu et appris comment il fallait faire. Il m'avait dit qu'il fallait pas pleurer mais gémir parce que ça rapportait plus d'argent. Je ne le faisais pas pour lui mais pour ma mère qui était malade d'après ses dires. Jusqu'à mes seize ans je ne voyais plus le visage bienveillant de ma génitrice. Quatre fois par semaine à intervalle régulier, on recevait des gens à la maison. Papa m'habillait toujours proprement ces jours là. Pendant ma première année,je n'ai pas mis de maquillage ni d'accessoire en tout genre mais les clients se faisaient plus exigeants. Souhaitant d'abord que je mette du maquillage, puis que je m'habille moins décemment, que je parle d'une voix plus sensuelle,que je les aguiche,les déshabille, les excite. C'était un calvaire, une routine d'un dégoût insupportable. Je vomissais toujours après puis de moins en moins. On s'habitue avec le temps. Le temps nous habitue à tout. Mes clients étaient toujours très âgés. Jamais en dessous de la quarantaine et aucun d'eux n'appréciait que je les appelle《Monsieur》. Jamais. C'était toujours ces petits surnoms qu'on donne lorsqu'on est amoureux "Mon coeur", "Mon amour", "Mon ange". La majeure partie de la clientèle, je les connaissais de nom du fait qu'ils revenaient se disant "Très Satisfait De La Qualité Des Services". Certains étaient brutaux passant des menottes au fouet, d'autres plus réservés, me laissaient faire tout le travail. À dix-huit ans, je connaissais tout ce qu'il y avait à savoir sur les hommes et menaçant de tout dire à la police,mon père m'avait avoué que ma mère était partie. Non elle n'était pas morte, elle était partie. Elle m'avait abandonné entre les griffes de ce monstre et elle avait fui. Fui ses responsabilités, sa progéniture, son unique enfant et l'image du parfait modèle que j'avais d'elle disparut enfin. J'avais sombré dans une dépression telle que je ne me souvenais jamais de rien à part des murs blancs de l'hôpital. Et mon Papa était toujours là. En guise de remerciements et par habitude du luxe peut être-je ne me permettrai de vous mentir- j'avais continué de faire le sale boulot qui nous servait de gagne-pain. J'avais mis un trait sur ma vie et surtout sur l'Amour. Rien que le mot m'écoeurait. Et il y a eu cet homme. Orlando Martins. Trente-six à l'heure actuelle et Trente deux ans lors de notre rencontre. Je ne l'aime pas mais j'arrive à penser que lui,ressent quelques sentiments pour moi. Des sentiments qui me font pleurer à chaque fois que j'y pense. Parfois je me dis qu'il le mérite, qu'il doit payer la cruauté de tous les autres mais...la douceur avec laquelle il caresse la racine de mes cheveux me fait tout regretter. Je ne lui ai rien dit. Il voit souvent mon père, il boient ensemble et se racontent des anecdotes drôles mais il ne sait rien du lien qui m'unit à mon paternel...à tous ces hommes qui laissent des bleus sur ma peau. Des bleus que je justifie par ma maladresse. Des bleus sur lesquelles il dépose de délicats baisers. Et je regrette de lui faire tant de mal. Sincèrement. Après avoir fait l'amour pour la première fois, ses yeux emplis d'amour un peu trop niais, j'avais eu envie de tout lui dire mais je m'étais tu. Comme toujours. Et puis j'ai eu moins de remords... Le temps nous habitue à tout. Quand mon père m'a annoncé quand allait en croisière et qu'il glissa à mon oreille que c'était un remerciement pour lui être aussi fidèle, je savais qu'un homme m'y attendais et je n'ai pas bronché. Comme toujours. J'ai embrassé Orlando et je suis partie avec mon Papa.

" - Rachel...c'est l'heure du dîner fait la voix de mon père dans mon dos

- Papa..tu crois que ça s'arrêtera un jour? Que je pourrais enfin vivre ma vie? lui demandais-je en jettant le mégot à la mer

- Tu veux que ça s'arrête? "

Je ne réponds pas et nous allons manger tous les deux. À la fin du repas, je le regarde,attendant la suite. Parce qu'elle se résume à ça ma vie. Écouter bien sagement les instructions puis les suivre à la lettre sans réfléchir, comme une chienne.

" - Il n'est pas là aujourd'hui? me demande mon père

- Non. Il est sorti se promener

- D'accord. Tout se passe bien?

- Je fais comme tu me dis

- C'est bien. Et Orlando?

- Orlando n'est pas un sujet approprié quand je travaille dis-je machinalement le regard vide

- Désolé."

Aussi mauvais qu'il paraît l'être, mon père n'était pas le bourreau...enfin à ma majorité j'avais arrêté de le considérer comme tel. Il entretenait mon corps comme un bijou précieux. Sport et Alimentation, il réglait tout. Son téléphone portable vibra sur la table et il y jeta un rapide coup d'oeil.

" - Il est là Rachel.

- C'est bon j'y vais répliquai-je en m'écartant de la table

- Tu devr..

- Ne t'inquiète pas, je sais ce qu'il aime finis-je en lui tournant le dos"

Nº10. Je pénètre dans la chambre qui sent l'alcool à plein nez et me déshabille. 57 ans, ministre des finances. Celui là, c'était un rigolo avec ses jeux de rôles tout pourri. Un rigolo qui était loin d'aimer faire rire.

" - On a quoi aujourd'hui? Policier ? Je lui demande

- Oui... sauf qu'aujourd'hui il torture me repond l'homme au dos voûté avec un rictus étrange"

À chaque ordre, je m'exécute. Comme une chienne.

" Alors on a pas été sage aujourd'hui...allonge toi là"

Il me frappa un objet dur au bas du dos. Ce n'était pas un fouet. Plus lourd et moins piquant. Je suis presque sûre qu'une ecchymose apparaîtra à cet endroit. Je serre la mâchoire.

"Pourquoi tu ne cries pas? "

"OPEN...."

"YOUR..."

"FUCKING.."

"MOUTH."

Au cinquième coup, je m'exécute. Comme toujours. Et puis je pense à Orlando. À l'excuse. "J'ai glissé sur le pont mouillé". "Je me suis cogné contre la lourde porte de la cabine".

Je sens déjà sa bouche se poser sur mon dos. Et je sais qu'un jour, il cessera d'y croire, à mes raisons stupides.

Je sais qu'il va me manquer. Je hausse les épaules. Le temps nous habitue à tout.

Et si...?Où les histoires vivent. Découvrez maintenant