La cloche avait sonné depuis quelques minutes. Dans l'enceinte de l'école, les rayons de lumière automnaux et froids étaient filtrés par les quelques arbres nus plantés ici et là. Seule, je marchais en direction de la rue, pour rentrer chez moi. Alors que les autres élèves étaient rassemblés en groupes et discutaient entre eux, j'avançais dans le silence. Du moins, jusqu'à ce qu'une de mes amies ne m'interpelle.
« Anna? Anna! » Je me retournai avec un sourire crispé.
« Sophie, la saluai-je simplement. » Un sourire éclaira le visage de l'adolescente.
Sophie Lerose était, comme dit un peu plus tôt, une de mes meilleures amies. D'un physique plutôt banal, elle aurait facilement pu passer inaperçue sans moi à ses côtés; petite, elle avait de longs cheveux blond-roux et bouclés qu'elle ramenait en général en queue-de-cheval; cependant, ce jour-là, elle les avait rassemblé en deux tresses plutôt mignonnes, qui reposaient sagement sur son buste. Ses yeux bleus étaient encadrés par d'énormes lunettes blanches qui lui mangeaient les joues, et son nez était pailleté de taches de rousseur. Elle était adorable; une enfant dans un corps d'adolescente. Je l'aimais bien. Bref, c'était mon amie.
La jeune fille accourut vers moi en trottinant, le tourbillon de sa jupe soulignant la minceur de ses hanches. Autour d'elle, les autres élèves quittaient l'école en petit groupes, s'échangeant les dernières nouvelles de la journée, ou autres banalités sans importance. « Je te cherchais, dit Sophie en me rejoignant, un peu essoufflée. On rentre ensemble? Tu veux bien? Hein? » elle réajusta son sac sur ses épaules. « Comme tu veux, énonçai-je en haussant les épaules. » Elle sourit. Je détournai le regard.
En réalité, je n'avais pas trop envie de parler aujourd'hui, chose qu'elle ne sembla malheureusement pas remarquer. Alors que nous sortions de l'enceinte de l'école, Sophie joyeuse et moi morose, elle se mit à jacasser à propos de diverses choses, passant de sujet en sujet sans trop de transition. « Tu sais que Raphaël a mangé de la salade ce midi? a-t-elle commencé. Il fait tellement attention à sa santé! Et en plus il s'essuie les lèvres après dix bouchées! Et en plus il m'a dit que- Tiens, maintenant que j'y pense, on t'a pas vu ce midi? T'étais où? Mais bon, je disais donc que Raphaël... »
J'écoutai pendant un petit moment, puis, finalement, alors qu'elle poursuivait notre conversation - qui était plus un monologue, tout compte fait -, j'ai rejeté la tête en arrière et fixé le ciel piqué de nuages grisâtres, ponctuant parfois ses dits de petits « mh-hm. » affirmatifs.
Tout en marchant à côté de mon amie - qui, bien sûr, continuait de parler sans même se donner le luxe de respirer -, je me suis mise à penser à mon stupide devoir de maths. Je faisais ça souvent; penser à mes problèmes et planifier un moyen de tous les régler à temps faisait partie de mes habitudes. J'aimais bien quand tout était bien clair et net; en vérité, l'idée même de désordre et de confusion m'affligeait.
Mais, bien évidemment, maintenant que je pensais à mes petits tracas quotidiens, l'idée du cahier noir appartenant à Adèle me tournoya dans l'esprit. Une violente culpabilité pointa dans mes entrailles, émotion indigne que je m'empressai de chasser. Elle a tort. Elle a tort. Elle a tort. Je sais ce qui s'est passé, je sais pourquoi je lui fait subir tout ça; elle m'a lâchement poignardée dans le dos alors que nous étions amies.
Alors que je lui faisait confiance.
À ces pensées, une légère colère envahit mon ventre. Dans son texte, elle me décrivait comme si j'étais le Diable en personne; pour qui se prenait-t-elle de dire ça sur moi? Après ce qu'elle m'avait fait? Elle est aussi imparfaite que n'importe qui, elle aussi. Et Alexis? C'est la même chose; si elle le connaissait comme je le connais, elle le saurait. Si elle savait qui il était réellement, un être rempli de doutes, de qualités et de défauts, comme tout le monde, elle le saurait. Mais elle ne le sait pas, elle ne sait rien.
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Le cahier d'Adèle
Teen FictionJe l'ai détruite. Je l'ai écrasée, écrabouillée, je l'ai brisée en mille morceaux. J'ai fait de sa vie un véritable enfer. Je l'ai harcelée, persécutée, intimidée. Pour qu'elle sache ce que j'ai ressenti à ce moment-là. Pour qu'elle regrette ses ag...