Chapitre 4 : Attente

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La petite fille ne cesse de sourire. Je suis terrorisée. Mes bras sont cloués au mur, et ma respiration s'est interrompue sous le choc. Mon visage tourne rapidement au cramoisi. L'air essaie désespérément de se frayer un chemin à travers mes poumons, mais mes organes respiratoires ont cessé de fonctionner. Je lutte pour ne pas défaillir. J'ai sans nul doute une ennemie en face de moi, qui pourrait me tuer à tout instant. La peur a raison de moi, et je me lève inconsciemment. Mes jambes ne m'obéissent plus. Si je décidais de m'enfuir, elle me poursuivrait, ou s'enfuirait dans une autre direction, auquel cas je l'aurais perdu pour de bon. Une part de moi souhaite rester avec elle, et en apprendre d'avantage. Mais mon subconscient me crie de m'enfuir à toutes jambes. Je reste quelques secondes encore debout face à elle, avant de succomber à la curiosité. Après tout, je lui ai sauvé la vie, donc elle me doit quelque chose, en supposant que son entourage lui ait appris les mêmes valeurs que les miennes.

Je lui tends la main, pour l'aider à se relever. Elle la regarde longuement, puis s'appuie contre le mur et finit par se lever seule. C'était à prévoir. Elle a parfaitement compris que je sais qui elle est. Enfin, que je ne sais pas qui elle est justement. Une fois debout, elle me fixe du regard, toujours sans prononcer un seul mot. Son regard me défie. Si elle espère me voir baisser les yeux, elle est tombée sur la mauvaise personne. Je soutiens farouchement son regard. Puis, sans que je m'y attende, elle part en courant.

Elle est extrêmement rapide, et atteint le fond du couloir sans que j'aie pu esquisser un seul geste. Je m'élance à sa poursuite. Il ne faut pas que d'autres personnes la voient, cela signerait son arrêt de mort. Une vingtaine d'enfant surentraînés et en proie à la panique ne peuvent être contrôlés et la tueraient à coup sûr en voyant qu'ils ignorent son identité. Je l'aperçois. Elle tourne à droite et je freine pour ne pas me prendre le mur en pleine figure, pivote sur mes talons et repars dans sa direction.

Les couloirs gris clair défilent autour de moi. Les carreaux impeccablement transparents des fenêtres me fournissent de la lumière tous les 10 mètres. Nous sommes au rez-de-chaussée puisque nous sommes sorties du réfectoire. L'incendie m'a fatiguée physiquement comme mentalement. Tous mes membres me crient de m'arrêter mais je ne peux pas la laisser partir. Ma tête me tourne. J'aurais besoin d'une heure au moins pour récupérer de la douleur et de la fatigue de toute à l'heure. Mais comment fait-elle ?

Je la vois quelques dizaines de mètres devant moi. Elle semble ralentir. Je me laisse aller à espérer qu'elle ralentit parce qu'elle est autant extenuée que moi. Elle se retourne, essoufflée. Je ralentis à mon tour la cadence. Son corps souple et élancé chancelle, vacille et manque de s'écrouler. Elle s'appuie sur le rebord d'une fenêtre. Je la rejoins en quelques pas. Elle a fermé ses yeux noisette et laisse ses longs cils lui fournir une opacité quasi-totale. Je m'installe à côté d'elle. Si elle se décale de quelques centimètres, elle semble avoir rejeté l'idée de s'enfuir à nouveau.

Accoudée à la rampe froide et métallique qui termine la vitre, j'observe le paysage à travers le carreau translucide. Des champs dorés par le soleil s'étendent à perte de vue, laissant supposer qu'ils ne s'arrêtent jamais. Ces semences de blé appartiennent au centre. Ils fournissent la plupart de la production annuelle de nourriture, laquelle reste toujours sans saveur malgré les conditions de récolte optimales qui lui permettent d'être produite en grande quantité. Seuls quelques rectangles d'haricots verts viennent troubler ce jaune ocre qui semble être sans défaut. Eux sont situés de part et d'autre à l'ouest du centre. Ils sont éparpillés parmi les rangées de grains de blés. Au loin, on distingue quelques terrains vagues stériles, abandonnés par les tracteurs ne souhaitant pas cultiver dans ces zones arides.

Mes yeux parcourent vaguement les machines de récolte arrêtées le long des allées, laissées sans conducteur. Les adultes ont disparu pour de bon, personne ne les a plus vus nulle part. Etrangement, les enfants semblent penser qu'ils reviendront bientôt, et ne paraissent pas encore s'inquiéter. Mais un tôt ou tard, la réalité les frappera de plein fouet et ils comprendront. Pour l'instant, les réserves de nourriture de la cantine nous suffisent amplement. Mais après l'incendie de ce matin, il est probable qu'il faille aller récolter des légumes dehors. Je soupire, réticente à l'idée de sortir du bâtiment qui nous maintient en sécurité depuis toujours.

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