Texte n°5

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Où est passé l'enfance ? où se cache l'innocence juvénile sur le visage marbré de terre de l'enfant sale ? Pourquoi ne sourit-il pas ? Il n'a plus de raison de sourire. Il n'a plus de famille, il n'a plus de présent, et il a peur de son avenir. Jeune enfant coincé dans une cage aux bords acérés. Un mauvais choix et il se perdra dans la mort, comme tant de ses frères. L'enfant qui parcourt les multiples périples la tête basse, avec la simple volonté d'avancer. Toujours avancer dans un monde où la peur paralyse, ou la tristesse n'émeut plus et l'hypocrisie trône parmi les plus grandes valeurs. Loin des yeux, loin du cœur. La société n'apprend plus, elle croit tout savoir. Elle croit avoir vu toutes les larmes, tous les combats et toutes les peines du monde, au point de ne plus les voir. Et cet enfant qui avance, abîmé par le temps, du haut de ses faibles dix ans, soufre, souffre dans un silence qui hurle un appel au secours, un appel à l'aide. Il a couru sur tous les champs de bataille, il a navigué sur toutes les mers de sang et de larmes. Il a du tout quitté pour une cause qu'il ne comprend même pas, poussé par l'effroi de la mort. Accroché à son radeau, les mains abîmées par les cordages tressés et complexes des relations intersociales qu'il ne comprend pas et le visage aussi brûlé que les voiles de son avenir. Pourquoi est-il seul ? Pourquoi dans son malheur, la seule lueur d'espoir qu'il connaît est l'idée d'une terre nouvelle, d'un nouvel éden ? Il a tant marché, il a tant vécu. Il a mal, mal des mauvais jours, des mauvais mois qui lui font éprouver un manque profond d'un bonheur oublié. La solitude qui pèse sur ses frêles épaules brunit et tannées par le soleil. Ses côtes saillantes et les pieds meurtris par le temps qui le vieillissent plus qu'il ne le devrait. Et dans ses yeux, l'amertume du monde. Si ses lèvres sont scellées par la fatigue et par la soif, tout son être crie un SOS qui s'envole dans les airs mais qui laisse une trace sur son corps coupé en deux essoufflé, faible et malade. Il s'appelait Alam. Je l'ai rencontré alors qu'il demandait l'asile en France. Jamais son visage ne s'effacera de mes pensées, jamais ses paroles ne me quitteront. Il m'a raconté son périple avec difficulté, privilégiant le langage des signes à celui des mots. Il a demandé mon aide et il a montré son histoire avec l'usage de ses doigts noircis par la terre et la crasse. Il a dessiné sa peine, sa tristesse, son désespoir. J'ai vu ce qu'il a vu et vécu ce qu'il a vécu désormais. Je me souviens de son dos légèrement courbé, où l'on apercevait ses vertèbres saisissantes, de ses jambes maigres mais robustes, seul moteur de son éternel parcours. Je me souviens de ses cheveux noirs, de sa peau basanée. Je me souviens et me souviendrai à jamais du chiffon qu'il tenait dans sa main, dernier souvenir d'une famille disparu. Entouré de frères anonymes, il n'a jamais paru aussi faible. J'avais fini par oublier sa petitesse. Mais cet humain reste un enfant. Un enfant qui a vécu plus que ne le vivront jamais les adultes assis dans leurs salons, revivant en images les massacres des hommes. Ils sont dans leur maison, l'herbe dans leur jardin est verte, leurs enfants sont blonds. Le monde est faux. Des milliers de personnes meurent tous les jours sous les balles de leurs confrères et ceux-ci s'en moquent. Nous vivons dans une société hypocrite qui ne pleure que lorsqu'elle y est forcée. Vivrait-il de la même manière si leur fille était pieds nus dans le désert ? Riront-ils de la même manière si leur fils était seul sur un radeau au milieu de la mer ? Car vous, assis devant vos télés, à plaindre le malheur des autres alors que vous ne faites rien pour aider ces malheureux, et qui, avec une bonne conscience, vivez heureux à l'abri de la guerre en affirmant que vous êtes pour la paix : Vous êtes le plus grand mal qui sévit notre existence. Vous êtes les plus violents et les plus terribles. Les provocateurs de Chaos, c'est vous. Aujourd'hui Alam est mort. Ils ont refusé sa demande d'asile. Alam qui avait parcouru des milliers de kilomètres n'a plus d'endroit ou va dans un monde aussi féroce que le nôtre. Alam est parti en mer et il n'a jamais échoué quelque part. Alam était intelligent. Alam était gentil. Alam était innocent et Alam est mort. Alam était seul. Alam a payé les crimes d'un autre. 

Alam est le sacrifice. Alam est la volonté. Alam est mort sur terre mais vivant dans mon cœur et mon esprit. Alam sera à jamais vivant car un ange ne meurt jamais.


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J'aimerais vraiment avoir votre avis sur celui-là, qu'en pensez-vous ? 


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