— Abby, es-tu consciente de ce que tu t'apprêtes à faire ?
Le Capitaine étant parti chercher mon poignard dans sa cabine, Rupert en a profité pour venir me parler, probablement pour me faire changer d'avis, même si mon choix était déjà fait. Il me regardait avec des yeux ronds, pareil pour la plupart des pirates autour de moi. Excepté Jasper et Elijah, qui semblaient bien se marrer devant la situation.
— Bien sûr que j'en suis consciente. Je vais me battre contre le Capitaine et je vais gagner.
— Je ne crois pas que ce soit une très bonne idée, a continué Rupert, visiblement inquiet. Tu sais, il est très fort à l'épée, et toi avec ta dague...
— Tu crois que je ne suis pas capable de rivaliser ? ai-je demandé, offensée. Et bien, regarde-moi bien.
Le Capitaine est revenu avec mon poignard et me l'a donné en me dévisageant. Cette lame qui m'était si familière au creux de ma paume a remonté d'une traite mon niveau de confiance. J'avais combattu tant de fois avec cette arme, dont je maîtrisais parfaitement. Même avec sa longue épée, le Capitaine n'avait aucune chance.
Je fixais mon adversaire, attendant qu'il donne le signal de départ. Automatiquement, j'ai pensé à ma stratégie et j'ai tout de suite su quel coup employer pour ma première attaque.
— Tu es prête à y laisser ta peau ? a demandé le Capitaine avec un rictus prétentieux.
— C'est bien de rêver, ai-je répliqué.
Une voix s'est élevée de la petite foule, que j'ai immédiatement reconnue comme étant celle de Jasper :
— Allez, qu'on en finisse avec elle. Au combat !
Mon rival a levé son épée et, pendant un court instant, nous nous sommes foudroyés du regard, sans broncher. J'ai tenté de deviner sa stratégie, de prédire ses premiers mouvements, mais il ne me laissait aucun indice. Donc, j'ai fait ce dont j'étais la meilleure : attaquer sans réfléchir. Je me suis élancée à l'avant avec fougue et, arrivée jusqu'à lui, j'ai feinté un coup de dague à sa gauche. Il s'est alors déplacé de l'autre côté et c'est exactement ce que je voulais pour atteindre son flanc avec ma lame. J'ai entendu les pirates pousser une exclamation de surprise et même le Capitaine a semblé déconcerté un moment, comme s'il ne pensait pas que j'allais vraiment être capable de le combattre. Lorsqu'il a vu le sang couler, il s'est ressaisi et m'a lancé un regard menaçant, avant de frapper son épée contre la mienne pour me désarmer. Ça n'a pas fonctionné et j'ai tenté un autre coup vers son torse, en vain. Mon ennemi a alors porté des attaques à la chaîne, que j'ai réussi à esquiver de justesse, excepté la dernière, qui m'a profondément éraflée l'épaule. J'ai retenu mon souffle pour éviter de crier de douleur. Voyant que j'avais mal, le Capitaine, étrangement, a reculé au lieu de saisir cette opportunité qui s'offrait à lui. Me tenant le bras blessé, j'ai jeté un coup d'œil à Rupert, qui me regardait avec pitié. Et c'est ce dont j'avais besoin pour reprendre la situation en main : savoir que j'étais vue comme une condamnée, à qui il fallait avoir pitié. C'était cela, mon avantage : j'étais prise pour la plus faible, personne ne s'attendait à me voir vainqueur. J'ai profité de l'inattention de mon adversaire pour lui asséner un coup de poignard dans les côtes. Celui-ci a grimacé, mais a repris le combat. Nos lames se heurtaient avec choc, nos attaques de plus en plus puissantes et nos corps qui semblaient valser. Diverti par ce combat enivrant, l'équipage clamait à chaque coup, mais j'étais trop concentrée pour les discerner.
Curieusement, combattre contre le Capitaine me rappelait quand Jaden et moi nous entraînions en duel. Nous pouvions passer des heures sur le pont à croiser le fer.
J'ai repris mes esprits lorsque l'épée de mon rival est passée à quelques centimètres de ma gorge. J'avais oublié que, cette fois, ce n'était pas un entraînement et que je risquais ma vie.
— Tu crois encore que je suis incapable de te tuer ? a demandé le Capitaine.
J'ai répondu un simple «oui», d'une voix incertaine, ce qui l'a fait ricaner. Avec une soudaine énergie, j'ai attaqué comme jamais, à une telle vitesse qu'il n'a pu parer le coup de dague qui a pénétré dans sa clavicule. Il a arrêté assez vite de rire et a pesté un juron.
— Hey, tu te fais battre par une fille, je te signale, a lancé Jasper.
Le Capitaine, soudain pris d'orgueil, s'est élancé dans une suite d'attaques des plus fortes, brûlant toute mon énergie du dernier repas à bord du Golden Blood, qui m'a semblé si loin. Affaiblie, j'avais du mal à me défendre, ce qui me faisait reculer de plus en plus sur le pont. Le Capitaine ne s'arrêtait pas et je continuais à faire des pas arrière, jusqu'à ce que mon dos frappe le bastingage. J'ai regardé par-dessus mon épaule et je pouvais voir les légères vagues de la Mer des Caraïbes. C'est alors que mon ennemi a levé son épée vers moi et, d'un geste désespéré, je l'ai intercepté avec ma dague. Les deux mains sur le manche de son épée, il forçait pour approcher sa lame de mon visage. Mon poignard était la seule chose qui s'interposait devant ma mort imminente. Mes forces me lâchant peu à peu, l'épée se rapprochait dangereusement vite. Je savais que mon temps était compté.
«Voilà, c'est comme ça que tu vas mourir. Tu ne seras jamais devenue une pirate de renommé. Tu n'auras jamais vécu toutes ces aventures auxquelles tu as toujours rêvé. Non, tu seras tuée par ce garçon à peine plus vieux que toi, qui veut prouver à son équipage qu'il est capable de tuer une innocente.»
Ses yeux se sont alors plantés dans les miens. Soutenant son regard indéchiffrable, je me suis dit que cela allait probablement être la dernière chose que j'allais voir. Et, au moins, c'était quelque chose de beau. Ses yeux gris qui renfermaient une lueur bleuté me rappelaient l'océan et j'avais envie d'y plonger. Un peu plus haut, j'ai remarqué pour la première fois une cicatrice qui lui barrait le sourcil.
Soudain, l'épée du Capitaine a atteint ma gorge et j'ai fermé les yeux. Mais, le métal froid s'est immobilisé.
— Qu'est-ce que tu attends ? ai-je lâché, les dents serrés, en ouvrant les yeux. Achève-moi.
Le Capitaine est resté muet. Tout à coup, il a fait quelque chose qui m'a laissée complètement abasourdie ; il a baissé sa lame. Durant une seconde, je l'ai interrogé du regard, mais il a rapidement détourné les yeux. Je ne me suis pas posée davantage de questions et j'ai saisi l'occasion, en élançant mon poignard. C'était maintenant lui qui avait une lame sous la gorge.
- Félicitations, a marmonné le Capitaine d'une voix rude. Tu as gagné.
J'ai retiré lentement mon poignard de son cou. Puis, sans même un regard ni un mot de plus, il a détourné les talons et s'est dirigé vers sa cabine, où il a refermé la porte violemment.
Ahurie, j'ai regardé les pirates, dont j'avais complètement oublié leur présence et qui affichaient la même expression que moi.
- Et bien, a dit Jasper. C'était... divertissant.
Rupert s'est alors précipité vers moi.
- Abby ! Tu saignes ! Viens, je vais aller te mettre un pansement.
Ma profonde blessure à l'épaule m'était sortie de la tête et c'est seulement là que j'ai senti l'atroce douleur. J'ai suivi Rupert jusqu'à la cave. Là-bas, il a trouvé un chiffon et l'a noué autour de mon entaille ensanglanté, tout en s'extasiant à propos du combat et en se réjouissant de ma victoire.
Mais je savais très bien que je n'avais pas réellement gagné. Pour une raison qui m'échappait, le Capitaine m'avait laissé la vie sauve.
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La Voleuse des Mers
AdventureAu XVIIIe siècle, la plupart des filles de 17 ans sont à la recherche d'un homme riche à marier, et non d'un trésor caché. La plupart des filles sont vêtues de robes bouffantes et élégantes, et non d'un chapeau en cuir triangulaire. La plupart des...