10. Le début de l'éternité

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Courbaturée, je me suis réveillée sur les planches de bois du pont principal. Je m'étais endormie là, hier soir, après la discussion avec le Capitaine — ou plutôt avec Theodore. J'étais d'ailleurs encore stupéfaite par le fait que nous avions bavardé sans se battre, tellement que j'ai cru un instant que ça n'avait été qu'un rêve.

Je me suis levée et dirigée vers la cabine de Theodore, dont la porte était ouverte et par laquelle des voix s'échappaient. Assis à la table, tous les membres de l'équipage étaient présents et semblaient dans une discussion importante.

— Elle va nous y amener, a déclaré Theodore, d'une voix assurée.

— Je ne crois pas qu'on doit lui faire confiance, a dit Jasper.

Theodore allait ajouter quelque chose, mais, à ce moment, il m'a aperçue et a refermé la bouche.

— Ah, Abigaël, on parlait justement de toi ! a dit le Capitaine au bout de la table, tandis que tous les yeux des garçons se tournaient vers moi.

— C'est ce que j'ai cru comprendre..., ai-je marmonné.

Je me suis assise également à la table, aux côtés de Rupert et Isaac, et je me suis servie du pain, ainsi que de la confiture devant moi. Theodore a repris la parole :

— On disait que tu allais nous amener à l'arbre magique, n'est-ce pas ?

Sous le regard méfiant de Jasper, j'ai répondu, la bouche pleine :

— Bien sûr.

— Parfait, a dit le Capitaine. Et si tu collabores bien, peut-être auras-tu ton fruit, toi aussi.

J'ai failli m'étouffer avec ma bouchée. Theodore l'a remarqué et a lâché un petit rire.

— Alors commençons.

Il est allé chercher un parchemin sur son bureau et l'a déposé sur la table.

— Dis-nous ce qu'il est écrit ici, a-t-il ordonné en pointant un texte sur la carte.

Je n'avais qu'à les conduire à cette île et, voilà, l'immortalité s'offrait à moi. Pourtant, j'ai eu un moment d'hésitation. Ce plan n'incluait pas Jaden. Cela voudra dire que je devrais faire une croix sur notre rêve de devenir les pirates les plus connus jusqu'à la fin des temps. Je ne pouvais pas lui faire cela, ce serait une trahison de ma part. Si j'étais pour vivre pour l'éternité, je le ferai avec Jaden ou je ne le ferai pas du tout.

Mon choix fait, j'ai déclaré, les yeux sur le parchemin :

— Il est écrit d'aller au sud à une latitude de 11 degré, 50 minutes et 42,9 secondes, ainsi qu'à une longitude de 64 degré, 36 minutes et 34,4 secondes, à l'ouest.

— Bien. Isaac tu vas t'en occuper ? a demandé Theodore. Le compas est sur mon bureau.

— Bien sûr, a-t-il répondu en se levant.

— Attendez.

Tout le monde s'est tourné vers Jasper. Celui-ci me fixait sans broncher.

— Elle ment.

C'était maintenant mon tour d'attirer les regards. Mes jambes sont devenues molles et j'ai tenté de dire d'une voix désinvolte :

— Je ne vois pas de quoi tu parles.

— Je ne sais peut-être pas lire, mais cela ne veut pas dire que je suis idiot pour autant.

Il a pointé un mot sur la carte.

— J'ai déjà vu ce mot et je sais que cela veut dire nord.

L'avais-je déjà dit que je détestais ce garçon ?

— Donc c'est au nord qu'il faut aller pour la latitude, et non au sud, a-t-il ajouté.

Tout l'équipage me dévisageait, en particulier le Capitaine. Je voyais dans son expression que sa confiance en moi s'était écroulée.

— D'accord, tu m'as grillée, ai-je avoué en lançant un regard rempli de haine à Jasper.

— Je vous l'avais dit qu'il ne fallait pas lui faire confiance, a-t-il dit, visiblement fier de son coup.

En colère, je me suis levée d'un bond.

— Hey, je te signale que, sans moi, vous n'auriez même pas cette fichue carte, alors tu vas la fermer, oui ? Et maintenant que JE vous ai dit comment aller à l'île et que c'est grâce à MOI que vous allez tous être immortels, je ne suis plus d'aucune utilité, donc je vais aller dans la cave et que j'en vois un seul qui ose venir me déranger !

Abasourdis, tous les garçons sont restés muets, tandis que je me précipitais hors de la cabine.

Dans la cave, j'ai sorti mon poignard et, à grands coups de rage, je me suis défoulée sur ce pauvre mur en bois. Il fallait que ma colère sorte enfin. J'étais furieuse après tout le monde. Ce Jasper qui a vu clair dans mon jeu, ce Theodore qui se servait de moi pour arriver à ses fins, soit d'être immortels, et ce Jaden qui prenait beaucoup trop de temps à mon goût pour me retrouver.

Quelques minutes plus tard, j'ai arrêté de m'en prendre au mur qui était maintenant pourfendu de multiples coups, de haut en bas et, un peu plus calme, je me suis couchée dans mon hamac. Je suis restée là, jusqu'à ce que j'entende des pas dans les escaliers.

— Si c'est Jasper ou le Capitaine, tu serais mieux de me laisser tranquille.

— Non, ce n'est que moi.

Je me suis redressée et j'ai vu Rupert qui paraissait embarrassé.

— Je peux partir, si c'est ce que tu veux.

— Non, reste.

La vérité, c'est que j'avais besoin de lui, il savait toujours comment me remonter le moral.

Il s'est assis près de moi. Un moment de silence, puis il a dit en souriant :

— C'était quand même assez marrant ton petit discours tantôt.

— Tais-toi.

— «Que j'en vois un seul qui ose venir me déranger!», a-t-il imité en prenant une voix de fille.

— Tu cherches les problèmes, toi.

Il a ri et j'ai fait de même, malgré moi. Comme quoi un bon rire est le meilleur des remèdes.

Nous avons parlé de tout et de rien pendant une bonne heure, dans laquelle j'ai appris que, selon Isaac, nous allions arriver à l'île dans deux jours.

Et il avait raison. Les deux jours passés à se préparer, surtout mentalement, ont filé assez vite et, lorsque un petit bout de terre est apparu à l'horizon, une bouffé de joie a envahie l'équipage. Certes, chacun était anxieux, mais surtout impatient d'être à destination et de, enfin, manger ce fameux fruit, l'antidote contre la mort.

Je me suis dirigée vers la proue, où Theodore contemplait la mer, et j'ai fait de même, à ses côtés.

— C'est le grand jour, ai-je déclaré.

Il a hoché la tête.

— Oui, tout va changer maintenant.

Je me suis tournée vers lui pour détecter son expression, mais celle-ci était impassible. Il m'a regardé également et j'ai détourné les yeux, observant à nouveau l'horizon. La vue était fantastique, avec le soleil qui se levait, comme sortie tout droit de la mer, et la petite île qui se formait au loin. Après un instant de silence paisible, Theodore a dit :

- Aujourd'hui est le début de l'éternité.

La Voleuse des MersOù les histoires vivent. Découvrez maintenant