Chapitre 36

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Elle observe le dos de Faolàn lorsqu'il rentre, sans réellement saisir la situation. Elle se pose une main sur la joue et soupire. Elle commence à avoir froid et se lève. Lorsqu'elle veut rentrer, sa tête cogne le torse de Faolàn, elle titube en arrière, il lui attrape le bras, la tire contre lui, la relâche à la seconde. Elle relève les yeux et le regarde dans les siens.

Il a l'air incertain. Incertain. Freyja ne sait pas quoi en penser. Elle joue avec ses doigts, les entremêlant entre eux.
"Elle n'avait pas besoin d'aide?"
Faolàn secoue la tête.
"Non."
Ils ne disent rien un instant, puis le jeune homme inspire un grand coup.
"On marche un peu ?"
Freyja sourit légèrement.
"Tu veux me tuer derrière les sapins?"
Faolàn lui montre les dents.
"Peut-être."

Ils se mettent à avancer sur le petit sentier irrégulier qui passe à travers les arbres. Le vent secoue les feuilles et leur souffle de la neige dans les cheveux. Leurs pieds crissent sur le sol.
"Faolàn...", commence Freyja et se mord la lèvre. Le guerrier tourne la tête et soulève un sourcil.
"Oui?"
"C'est un peu indiscret."
Il rit.
"N'importe."
"La cicatrice sur ton torse."
Faolàn se fige. Ses mains se resserrent tandis qu'il lève les yeux au ciel.
"Tu l'as vue."
Freyja hoche la tête silencieusement.
Lorsqu'elle s'était occupé de soigner ses blessures, elle était tombée sur cette forme étrange et bien plus ancienne en plein milieu de son torse, un amas de chair cicatrisée et légèrement rougeâtre.

"C'est révulsant, n'est-ce pas. On dirait un bout de cadavre."
Il ferme les yeux et se passe une main dans les cheveux. Il tourne à nouveau la tête vers elle.
"Assieds-toi."
Freyja ne pose pas de question et s'exécute tandis qu'elle s'exécute et quelques secondes plus tard, il la rejoint. Les yeux fixés sur un point au loin, il commence à parler d'une voix monotone.

"C'est l'histoire d'un petit garçon. Sa mère est une putain qui le déteste. Son père, un inconnu, remplacé par un maître qui prend du plaisir avec la mère. Le maître a aussi des enfants. Deux filles. Une des filles est très jolie. Elle a les yeux verts et des boucles qui lui tombent le long du dos. Elle sourit beaucoup, elle aime parler.

Le petit garçon est très timide. Il doit travailler toute la journée, n'a pas à manger quand il le veut. Des fois, on le frappe, des fois pire. Il a peur de tout et en même temps de rien. Il regarde souvent la petite fille. Il en tombe éperdument amoureux. Peu à peu il grandit et bientôt il atteint ses dix ans.

Il décide d'aller lui parler et la petite fille lui répond à son tour. Elle rit et l'embrasse sur ses plaies. Jour après jour, elle répare le coeur du petit garçon. Il commence à rire et à vivre, il n'en a plus rien à faire de la faim et du froid.

Une nuit, on toque à la porte de la grange où il dort sur le sol. Il se lève, ne sait pas à qui s'attendre - peut-être que c'est elle!- mais lorsqu'il ouvre, un homme l'attrape et le tire à travers la cours. Il crie et se débat mais la brute ne le lâche pas. Enfin, il se retrouve devant le maître. On l'enchaîne - 'Tu as parlé à ma fille?'- il secoue la tête -'Réponds!'- 'Oui maître', chuchote sa voix apeuré et quelque chose le frappe en pleine figure. Du sang se met à couler de sa bouche et de son nez, il a horriblement mal à l'oeil droit. Le petit se met à pleurer tandis que pleuvent les coups et les insultes. 'Tu avais le droit ?'-'Non maître.'

Le maître n'a aucune pitié et le met à nu. Le petit garçon pleure plus fort -'Ne pleure pas!'- tandis que l'homme fait un geste à la brute. 'Descends au village, chercher un des hommes.'
Quelques minutes passent, puis la brute réapparaît avec un jeune homme aux cheveux ébouriffés et au visage ahuri. Le maître hoche la tête, lui montre le feu du doigt -'Marque le'-le petit ne comprend pas encore. Le jeune homme secoue la tête. 'Maintenant!'

Il va faire le feu, attrape une tige métallique dont il réchauffe le bout. Il se retourne vers le petit garçon qui ne comprend toujours pas. D'un mouvement rapide, il lui enfonce le métal dans la chair. Le petit garçon est paralysé de douleur. Il hurle, il crie mais personne ne l'entend. Il supplie le maître mais la souffrance ne cesse pas. Pas même lorsqu'on lui retire le bout de métal, lorsqu'on défait ses chaînes et qu'il tombe au sol presque sans vie.

L'homme qui l'a marqué pleure et demande au maître de l'aider. Celui-ci secoue la tête. La brute attrape le petit et le balance sur le sol de la grange, dans la saleté et la paille -'À ta place'."

Une larme roule sur la joue de Freyja lorsqu'elle s'imagine les souffrances endurées par Faolàn.
"Je suis désolée.", murmure-t-elle"Je n'aurais pas du demander."
Il secoue la tête.
"Je... On m'a tout pris, Freyja, de l'amour d'enfance au nom. Ce qu'on m'a gravé sur le torse, c'est une rune symbolisant le loup. Ce n'est pas pour rien que... Cet homme m'appelait Louveteau. Il me répétait incessamment que je n'étais qu'une bête à sa merci et... ", Faolàn se passe une main sur le visage "Mais pourquoi je te raconte ça, bordel. Je m'étais juré d'oublier tout ça. Bordel. Et je ne veux pas de ta pitié. Tu ne pourras jamais comprendre tout comme je ne pourrais apparemment jamais effacé cet part de moi."
Il se lève.
Freyja ne bouge pas.

"Putain! J'en ai marre d'être ce garçon faiblard!"

Son poing s'abat contre un arbre. Encore et encore, tandis que son visage se déforme et rougit par la rage.

"Faolàn! Calme-toi! Je suis désolée, je n'aurais pas du demander, c'est tout!"
Il pousse un rire dur et se tourne vers elle. Son poing saigne.

"Tu sais quoi, gamine? Tu me rappelles la fille du maître. Avec tes airs innocents, ton rire, ta joie, tes longs cheveux. Tes joues qui rougissent, tes mains douces. Et... Je déteste ça. Je le déteste, parce que tu représente tout ce que je désire et tout ce que je ne pourrais avoir. Tu es le fantasme de ce gamin mourant que je serais à jamais."
Il se laisse tomber au sol, ses épaules tombant mollement en avant.

Freyja ne réfléchit pas.
Elle fait un pas en avant et s'assoit à côté de lui. Elle lui pose une main sur l'épaule et le tourne vers elle, posant sa tête sur son épaule.
"Je te déteste aussi.", lui murmure-t-elle à l'oreille.

Elle le sent rire, mi-doucement, mi-sarcastiquement.
"Mais qu'est-ce que je fiche.", murmure-t-il à son tour. Il relève un peu la tête et d'un seul coup, pose ses lèvres sur les siennes.

Vénus a froidOù les histoires vivent. Découvrez maintenant