CHAPITRE III.

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21 octobre 1928, dans le comté du Suffolk en Angleterre.

Tandis qu'une pluie diluvienne s'abat sur les collines humides du Suffolk,  je brosse doucement mes cheveux tout en contemplant mon reflet dans le miroir de ma coiffeuse. Ma longue chevelure blonde platine se mêle aux plumes argentées d'un manteau épais qui appartenait autrefois à ma mère. Son armoire regorge de tenues toutes plus belles les unes que les autres. Le manteau de plume enveloppe même une partie de mon visage si bien que j'ai l'impression de ne plus avoir de cou. 

Je pose délicatement la brosse sur le meuble de ma coiffeuse et fixe mon reflet, mes lèvres à peine plus épaisses qu'un trait dessiné au crayon sont retroussées en un sourire ému. Je me tourne légèrement vers la gauche puis vers la droite, incapable de détacher mon regard du miroir. J'ai la sensation d'être une de ces femmes radieuses que l'on aperçoit sur les affiches ou dans les magazines féminins. Quand je serai grande, je referai ma garde-robe. Quand je serai grande, j'irai me ruiner dans les grandes boutiques de Londres pour acheter des tenues chics et pleines de raffinement.

 J'imagine que la vie d'une femme doit être tellement plus excitante que celle d'une petite fille. Je soupire. Je secoue vigoureusement la tête chassant cette pensée qui m'attriste un peu. Je préfère profiter de ce petit moment intime pour laisser libre cours à mon imagination. Mon père doit certainement faire une sieste dans le salon. L'occasion pour moi de profiter de ce petit bijou tant que je le peux.

— Miroir, mon beau miroir. Qui a beauté parfaite et pure ? dis-je en m'adressant au miroir de ma coiffeuse. C'est vous ma reine, sans aucun doute, poursuis-je d'un ton enjoué. 

Je me lève brusquement du tabouret sur lequel j'étais assise pour m'incliner légèrement l'air faussement ému. Soudain, un bruit de porte qui grince me ramène soudainement à la réalité. Triste réalité. A l'embrasure de la porte, se tient mon père. Mon coeur fait un énorme bond. Les yeux bouffis de fatigue, il vient probablement de se réveiller. Enveloppé dans un peignoir, il plisse ses yeux marrons. Les traits de son visage sont déformés. Son teint vire au rouge brique. Mes yeux s'élargissent.

— Qu'est-ce que tu fais avec le manteau de ta mère ?

Il se dirige d'un pas furieux vers moi avant de me retirer violemment le manteau et de s'écarter. Me voilà à présent vêtue d'une simple robe blanche aux motifs floraux.  Je le dévisage sans piper mot. Son regard marron se pose alternativement sur le manteau de plume puis sur moi. La fureur colore son visage blême.

—  Je t'ai déjà dit de ne pas jouer avec les tenues de ta mère ! Combien de fois dois-je te le dire ? Regarde ce que tu as fais, il y a des plumes partout sur le parquet ! gronde-t-il à en perdre la voix.

Mon regard erre d'un bout à l'autre de ma chambre et je remarque alors les quelques plumes argentées qui jonchent le parquet. Mes lèvres se tordent en une grimace et je contemple mes chaussures préférant ne pas affronter son regard flamboyant. Aucun mot ne semble vouloir franchir mes lèvres. Qu'ai-je à dire pour ma défense ? Absolument rien. Je ne m'excuserai pas pour cette énième bêtise. On ne peut pas me reprocher d'admirer les tenues de ma défunte mère. En m'arrachant brusquement ce manteau plumé, j'ai l'impression qu'une partie d'elle s'est envolée. Ces tenues, ces bijoux, c'est tout ce qu'il me reste d'elle. Je ne peux me rattacher à rien d'autre que ces choses matérielles. En voyant que je demeure silencieuse, il vient s'approcher de moi et se penche pour être à ma hauteur. il s'accroupit et m'invite à le regarder droit dans les yeux. Les traits de son visage se sont adoucis. Il paraît plus calme, plus doux et plus triste. 

— Je sais que ce que tu traverses depuis plus d'un an est atroce. C'est dur pour moi aussi. Mais on doit se soutenir, s'entraider pour surmonter cette épreuve au combien douloureuse. Tu comprends ?

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⏰ Dernière mise à jour : Jun 01, 2016 ⏰

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Le diable s'habille en noir & blanc.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant