Les ''prisonniers''

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Barnabé-Amélie-Ronald-Joanne, surnommé Barj – ce qui lui allait plutôt bien – était né sous X. Très vite à la rue, il a appris à voler et escroquer comme personne, auprès de son mentor Ruthabaga. Cela faisait donc 15 ans qu'il truandait les gens dans la rue.

Il a maintenant dix-huit ans.

Un jour, alors qu'il s'apprêtait à voler son pain à un Bouton de chemise, un raton-laveur l'accosta. Il lui proposa un marché que Barj ne pouvait pas refuser : trois têtes d'enfants contre la filature d'une tortue. Le raton-laveur ne lui avait donné aucune information ; il devait simplement rapporter le moindre de ses faits et gestes durant deux jours. Ils voulaient avoir le dossier complet de toute sa famille, ses connaissances et ses déplacements. Il accepta bien-sûr.

Un jour, lors d'une exécution publique, trois raton-laveurs – dont son ''employeur'' – débarquèrent et massacrèrent la tortue. Barj se demanda ce qu'il se passait mais peu lui importait l'état de la victime, du moment qu'il avait l'argent. Le raton-laveur lui donna un gros sac poubelle où se trouvaient les trois têtes. Le compte y était. Puis, ils l'assommèrent et l'envoyèrent au Centre de Recherches et d'Expérimentations.

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Hulibertha est la fille de Gérald-Julia-Mathilde et de Marion-Lucie-Jerôme, et la sœur de Felicie-Alphonse-Mathieu. A 8 ans, elle est la première de sa classe et possède une intelligence extraordinaire. Sa -- belle -- mère avait insisté pour qu'elle suive des cours particuliers tous les soirs, ce qui lui promettrait un bel avenir. Et elle n'avait pas tort, Hulibertha a effectivement eu un avenir radieux ! Elle s'est fait enlever par des raton-laveurs pour des expériences ! Que peut-on rêver de mieux ?

Tout a commencé un matin en week-end, alors qu'elle se baladait au marché pour prendre l'air. Elle vit une affiche annonçant le mixage en place publique. Bien que répugnée par l'idée, elle ne put s'empêcher d'aller voir, poussé par la curiosité. Or, c'est un vilain défaut, tout le monde le sait. Mais cette petite tomba dans le panneau. Pendant qu'elle tentait de retirer le morceau de courgette qui lui était arrivé dans l'œil, deux ratons-laveurs s'emparèrent d'elle et l'assommèrent violemment. 

Elle ne se réveilla que bien plus tard, dans une pièce plongée dans le noir complet, entourée de respirations douloureuses, et immobilisées par un sérum.

Cela faisait maintenant une semaine qu'elle était au Centre de Recherches et d'Expérimentations, plus communément appelé CRE. Elle s'était habituée à cette vie en captivité -- paradoxal n'est-ce pas ? -- et aux autres prisonniers. Les quatre étaient même presque devenus amis. Du moins jusqu'à ce que cette jeune fille débarque. Elle n'avait pas l'air aussi futée qu'Hulibertha, ou aussi endurante que Barj, mais en tout cas elle avait l'entière sympathie d'Eröd, le Chef, le Grand chef. Et cela ne présageait rien de bon pour les autres.

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Ragondin, dont on ne connaît pas le vrai nom, a 36 ans. Il a perdu ses deux femmes et ses deux enfants. Toute sa famille est également décédée lors d'un accident alors qu'ils se rendaient à un dîner familial le soir de Noël. Sans diplôme, employé à la poissonnerie, il n'aime ni son métier ni sa vie.

Donc, ce matin-là, lorsqu'un raton-laveur lui proposa de rendre service à son espèce -- humaine -- même si cela supposait de douloureux sacrifices ; il répondit oui  sans hésiter.

Le raton-laveur lui fit boire une liqueur rougeâtre qui l'endormit et le paralysa un long moment. Il ''vivait'' dans une petite pièce, avec trois autres personnes -- récemment quatre. Il se pliait à toutes les demandes et se faisaient volontiers viviséquer, hypnotiser, torturer, interroger, ...
Le CRE lui offrait un but à la vie. Même si celle-ci n'était pas idéale, même si elle était ponctuée de souffrance ; elle lui faisait oublier son ancienne et ses malheurs.

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Toujours fonceur, L. avait eu de nombreux accidents à cause de ça. Il fonçait dans le tas ! Dans les gens et dans les camions ...

Le soir de sa sortie d'hôpital, un chaudron se gara devant lui et lui brisa les os du pieds.

Lors de sa deuxième sortie, la terre eu un hoquet et un lampadaire lui tomba sur l'épaule : déboitée.

Alors qu'il sortait une troisième fois, il marcha sur une pomme, roula et tomba en arrière : fracture du coxis et déplacement d'une vertèbre.

Sa dernière sortie fut une après-midi de printemps, où tout le monde sort se promener, où tout le monde sort les fleurs sur le balcon, balcon qui se trouve vers l'hôpital. Le pot de fleurs de 6kg lui tomba sur le crâne et le plongea dans un coma qui dura plus de deux mois (il se réveille quelques secondes entre-temps, juste le temps d'avoir quelques spasmes et de se déplacer encore un peu plus les vertèbres).

Il ne sortit plus, son état était tellement lamentable que les médecins avaient perdu espoir. Paralysé à vie et au bout de son mental, L. passait ses journées à observer les gens par la fenêtre. Qu'avait-il fait pour que la malchance s'acharne sur lui ? Pourquoi tant de malheurs ? Pourquoi lui ?

Il ne trouva jamais les réponses à ses questions.

Un jour, un raton-laveur vint lui rendre visite -- ce que personne ne faisait jamais. Il resta volontiers discuter avec lui, de tout et de rien, lui changer les idées et le faire rire ! L. fut extrêmement touché et voulu lui rendre la pareille en lui offrant ce qu'il voulait. Le raton-laveur lui répondit que lui aussi avait à gagner, qu'il y avait peut-être des chances qu'il guérisse. L. n'en voyais pas la nécessité, puisque quelque chose allait encore lui arriver par la suite. D'autant plus qu'il n'avait jamais eu de chance, alors il ne voyait pas comment ce serait possible.

- Cela tient bien plus de la science que de la chance. Lui avait assuré le raton-laveur. Et la science c'est justement notre domaine.

C'est ainsi que L. se trouva embarqué dans cette histoire aussi. En chaise roulante, il participait à des tests d'électrocution, de réflexe, de résistance des tendons ... Il donnait beaucoup de lui-même et en était content : pour une fois qu'il réussissait quelque chose ! Qu'il faisait plaisir à quelqu'un ! Et le plus important, là où il était, rien ne pouvait lui arriver (d'autant plus que dans l'état où il était déjà, il en aurait fallu beaucoup) ! Le CRE l'avait aidé et il en était reconnaissant. Il les aiderait à leur tour, jusqu'à la fin.

Une banalité pas banaleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant