Brève #4 : 5h45

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5h45, un jour d'été.

Il finissait de payer ses achats quand il la vit alors. L'ombre. Celle qui reste dans le coin de l'œil même quand vous détournez le regard. Qui vous fait frémir parce que vous savez que vous devez lui rendre des comptes. Celle qui connaît vos failles, vos erreurs, vos secrets, vos limites. Qui perce à jour ce que vous avez vainement essayé de cacher jusqu'alors. Il s'immobilisa quelques instants, tentant de sonder l'insondable et diffuse silhouette qui se tenait à une vingtaine de mètres de lui, entre les tomates et les abricots. « Non, pas maintenant ! » s'écria-t-il intérieurement, et il s'élança hors de l'épicerie, sous les regards ébahis des rares clients, médusés devant la soudaine montée d'adrénaline de l'énergumène.


5h49 : « Courir, il faut courir. »

Loin. Vers le soleil.

L'ombre commença à le pourchasser et fit alors régner un froid polaire sur les environs. Des frissons parcoururent son corps, faisant se crisper ses muscles qui peinaient déjà assez à s'échauffer. Il courait aussi rapidement qu'il le pouvait. Si rapidement que sa vue se brouillait de plus en plus, et des larmes roulaient le long de ses joues rougies par l'effort. Le martèlement de ses foulées sur le béton faisait tressaillir chaque parcelle de son corps. Son cœur battait à tout rompre. Très vite. Trop vite. Mais l'ombre le traquait sans relâche.


5h53 : « Courir, il faut courir. »

L'air qu'il inhalait, glacial, lui brûlait les poumons, signe qu'il creusait un peu plus dans les tissus, déjà à vif. Il se fit la promesse menteuse d'arrêter de fumer s'il parvenait à échapper de cette irréaliste course-poursuite. L'air qu'il exhalait, chaud, créait un petit brouillard intense mais bref, dû à la température désormais arctique de l'atmosphère. Le froid lui giflait, griffait et fouettait le visage. Ses mains n'étaient plus que des excroissances innervées. Ses jambes tremblaient sous l'assaut permanent du sol, qui semblait un peu plus dur à chaque impulsion.


5h56 : « Courir, il faut courir. »

Un passage piéton. Il osa un coup d'œil en arrière ; il n'arrivait pas à distancer l'ombre, qui n'était plus qu'à une dizaine de mètres derrière lui. En se retournant, il évita de justesse une dame âgée qui venait de traverser, mais ne pût esquiver la voiture qui vint le heurter juste après.


5h58 : « Courir, il faut courir ! »

« Tout va bien ?! » le héla le conducteur. Mais aucun son n'eut le temps de sortir de sa bouche, il devait reprendre sa course. Deux, trois foulées. Il cracha du sang. Le choc lui avait cassé quelques côtes.


5h59 : « COURIR, IL FAUT COURIR ! »

Deux foulées de plus. Il n'en pouvait plus et s'écrasa contre le sol, des larmes de souffrance germaient au coin de ses yeux. L'ombre le rattrapa, émit un rire guttural, le pénétra de part en part et le déchira de l'intérieur.


6h00 : « Courir, il fallait courir. »

Les premiers rayons du soleil commençaient à réchauffer la ville encore assoupie. Sur un trottoir gisait cet homme sans histoire, le regard apathique, comme s'il venait de voir la mort.

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⏰ Dernière mise à jour : Jun 01, 2016 ⏰

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