Rosa était folle de rage, et s'en voulait beaucoup de ne pas avoir su voir que l'éducation qu'elle tendait d'inculquer à ses soeurs ne prenait pas avec Loïs. Elle alla la réveiller, et l'espionnée grogna légèrement, encore à moitié endormie ; la nuit pour elle avait été courte : cinq minutes montre en main. Au début ne comprenant pas, Loïs sentait une colère monter en elle car d'abord persuadée de l'injustice du savon que sa soeur lui passait, puis lorsqu'elle recouvra ses esprits, ce fut une toute autre colère : elle en voulait à sa soeur de lui reprocher de gagner de l'argent pour faire vivre la famille, de lui éviter de se faire battre et violer par Tartare car elle lui ramenait ce qu'il voulait. Elle en voulait à sa soeur de la considérer comme une moins que rien qui n'avait rien compris à la vie alors qu'elle avait justement tout compris ; elle avait compris la situation, que Rosa n'était plus en état d'assurer les finances de la famille, et elle avait décidé de prendre la relève bien qu'elle ne soit pas la seconde fille, car elle jugeait que sa soeur Marguerite n'était pas à la hauteur, bien trop aveuglée par ses amourettes avec cet homme dont personne ne connaissait l'identité, pas même si elle ne l'avait inventé. Elle en voulait à Rosa d'être si dure envers elle alors qu'elle ne voulait que l'aider. Son aînée ne s'attendait pas du tout à cette argumentation, et elle l'avait laissée parler et s'expliquer sans tenter d'intervenir. Elle était émue, et maintenant fière de sa cadette. Elle était heureuse d'avoir une famille qui, malgré l'élément perturbateur qu'incarnait le père, soit unie au point de se sacrifier pour elle. Loïs demanda cependant à ce que la discussion et la découverte de Rosa restent secrètes, entre elles, et elle avait utilisé l'argument persuasif de leur enfance à laquelle Rosa craquait toujours : «un secret de soeurs ».
Prise d'un élan de confiance qu'elle n'avait plus ressenti depuis longtemps envers ses soeurs, la mère de tutelle se confia à sa cadette, s'écroulant en larmes sous des mots qui lui paraissaient si durs à prononcer. Elle ne supportait plus la violence de leur père à leur égard, et Loïs, impuissante, se contenta de la prendre dans ses bras, de passer ses mains dans ses doux cheveux noirs, et de la rassurer en lui disant des mots doux et des mots de courage qu'elle n'était pas sûre de penser car trop consciente de la réalité. Cependant, des oreilles traînaient, et leur discussion n'avait pas été entre elles comme elles le pensaient. Marguerite se trouvait derrière un long et grand rideau qui séparait les chambres du salon. Tartare arriva derrière elle, lui attrapa le bras et la jeta derrière lui puis fît irruption dans la chambre. Surprises, les soeurs sursautèrent, mais le père Lussa vit qu'il se passait quelque chose d'anormal car toutes les deux se tenaient dans les bras. Il attrapa Rosa par les cheveux et l'écartait de Loïs qui restait forte, et le toisait de haut en bas d'abord, puis ne quitta plus son regard. Elle semblait s'élever au-dessus de lui bien qu'elle soit assisse et lui debout. Trop d'insolence pour lui. Une gifle partit, tellement forte que Loïs se retrouva de l'autre côté de son lit, les cheveux en vrac, se collant aux larmes qui avaient coulé sur ses joues. Elle était sonnée, et voyait de moins en moins, puis s'évanouit. Il se tourna vers Rosa, toujours sans dire mot, et lui fit comprendre qu'il avait envie d'elle - ou plutôt envie de sexe - assez violemment. Cependant, elle se débattit, et hurla qu'elle n'en pouvait plus, et qu'elle ne voulait plus. Ce fut tout ce qu'elle dit avant d'exploser en sanglots. Et un coup tomba. Puis un deuxième, un troisième et un quatrième. Une pause. Et c'était reparti. Elle ne cherchait même plus à se débattre. Elle se laissait faire, ne se retenait toujours pas de pleurer, mais contenait de toutes ses forces les cris qui se bousculaient dans sa gorge. Elle allait flancher et tomber dans les tombes lorsque, à sa grande surprise, Marguerite se jeta sur l'homme violent, en pleurant, lui suppliant d'arrêter. Elle se proposa comme remplaçante, et après de longs instants d'hésitation, elle lui avoua qu'elle l'aimait, plus que tout, et cela depuis des années. Elle lui avoua que son amour n'avait rien d'un amour normal entre père et fille, mais était plutôt de nature incestueuse. Elle lui avoua qu'elle n'avait jamais vu homme plus respectueux bien que terrifiant, plus impressionnant et ainsi aimant que lui. Elle lui déclarait son amour d'une voix à poignarder tous les coeurs présents, elle le lui déclarait, usant des plus beaux mots de son vocabulaire car elle voulait que sa déclaration soit la symétrie de la beauté du sentiment qu'elle avait pour lui. Tartare était perplexe, et les mains pleines de sang, il s'essuyait le visage, l'étalant ainsi sur son front, ses joues et sa bouche. Jamais Marguerite ne l'avait trouvé aussi beau. Tartare se tourna vers Rosa, qui luttait contre l'inconscience, et la jeta comme un vulgaire sac à l'extérieur de la chambre. Il se saisit de Marguerite, qui était aux anges. Il était aussi brutal avec elle qu'il l'était avec Rosa. La seule différence venait de Marguerite, qui était heureuse de vivre enfin cette expérience avec l'homme qu'elle aime en secret depuis si longtemps. Elle se sentait puissante, et était contente d'avoir pris la place de son aînée ; si elle rendait les armes, Marguerite comptait mieux les reprendre. Elle allait enfin avoir cette supériorité sur cette mère de tutelle qu'elle haïssait maintenant, car trop de jalousie. Elle allait enfin avoir et assouvir les avances de Tartare, elle allait enfin pouvoir gérer l'éducation de Louison qui ne se décidait toujours pas à parler. Elle avait, durant ces années d'amour secret, commencé déjà à établir toutes sortes de plans pour se sortir de telle ou telle mouise, elle avait déjà noté des idées pour régler les problèmes d'argent qui semblaient d'ailleurs, à son grand étonnement, se résoudre petit à petit. Cependant, perdue dans ses pensées, elle fit mal à Tartare alors qu'elle lui donnait du plaisir. La douleur fut telle que sa colère redoubla, ainsi que sa violence. Il a alors battu son amante, sa fille, d'une force que seuls les dieux pourraient avoir la prétention de posséder. Les os craquaient sous les coups, et le sang giclait de partout. Marguerite était redescendue de son petit nuage de bonheur. Elle hurlait, se tordait de douleur. Tartare jubilait, et une flamme malsaine se forma dans son regard. Il continua, encore et encore. Il continua même lorsqu'elle arrêta de s'époumoner. Une fois sa colère dissipée et le calme retrouvé, il s'en alla, laissant Marguerite là où il l'avait battue. Rosa recouvrait ses esprits à ce moment-là, et vit du sang goutter des mains de son père qui sortait du taudis. Elle précipita dans la chambre, et découvrit Marguerite, sa petite soeur, qui gisait dans une mare de sang. Elle courra aux pieds de la dépouille, et constata qu'elle ne respirait plus. Louison entra, suivie de Loïs. Elles se recueillirent près de corps meurtri, dont certains os avaient déchiré la chair à certains endroits. Louison était livide, et son visage ne parlait plus. C'était la seule façon qu'elle avait pour communiquer et se faire comprendre des autres. L'expression du visage est très importante dans les relations humaines, car, par exemple, un sourd et muet se base sur ce détail pour avoir connaissance de la situation : s'il y a un danger, si l'interlocuteur est heureux, s'il a fait une bêtise, etc. Voir le cadavre de son aînée mit Louison dans une espèce de torpeur - où elle se trouva déjà du reste - qui la coupait du monde. Peut-être ressentait-elle de la haine envers son père. Personne ne le sut jamais. Ce qui était sûr, c'est que Louison s'était renfermée sur elle-même de manière absolument hermétique. Plus rien ne sortait d'elle, plus rien ne l'atteignait. Elle semblait aussi morte que sa soeur. Rosa l'emmena chez Rodolphe pour qu'elle soit en sécurité, le temps que Loïs l'aide à dégager le corps et à l'enterrer à l'extérieur du bidonville.
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Rosa Lussa
Short StoryRosa Lussa avait eu trois soeurs. La plus jeune était folle, la seconde était pute, la troisième était morte.