Chapitre 1

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C'était une journée banale. Un matin insipide et froid, l'humidité s'infiltrant dans les moindres replis des vêtements et le ciel gris pesant sur les épaules. Un bisous sec au coin des lèvres effleurant à peine sa peau. Sans un regard, sans un mot. Même pas un « on se voit se soir » prononcé depuis le pas de la porte avant de s'enfoncer avec les enfants dans ce brouillard épais, si particulier au nord de la France, jusqu'à ne devenir que des silhouettes aux formes mouvantes et indiscernables. C'était toujours elle qui les voyait disparaitre, jamais le contraire. Elle les observait de sa chaise jusqu'à qu'il n'y ai plus rien à voir, le dos courbé et l'esprit envahit, parasité par toutes les tâches qu'elle se préparait à accomplir. Les même qu'elle avait effectué le jour d'avant et qu'elle recommencerait le lendemain. C'était un manège épuisant qui lui demandait toujours quelques minutes d'auto-encouragement chaque matin pour trouver la force de le suivre dans sa ronde endiablée. Elle y parvenait toujours. Elle se redressait, saisissait un balais et jusqu'à l'heure du déjeuner elle ondulait au rythme de ses coups de brosses. Parfois, l'après-midi, elle allait même jusqu'à pousser la chansonnette en frottant les carreaux avec vigueur. Puis venait l'heure d'aller chercher Léo et Paul à l'école et là le temps filait à tout allure. Quand elle pouvait enfin souffler elle s'effondrait sur son lit vide, son mari ne rentrant que rarement avant minuit voir ne rentrant pas du tout certains soir, et à peine posait-elle sa tête sur l'oreiller qu'elle dormait déjà profondément.

Et le lendemain ça recommençait.

Cependant ce matin-là, elle resta plus de temps courbée sur sa chaise après que le brouillard ai une fois de plus avalé sa petite famille. Un coup de blues particulièrement puissant l'avait saisi aux tripes et elle se surprit à regretter le ciel de son enfance qui, lui, ne lui avait jamais fait se sentir aussi glacé qu'elle l'était en ce moment même.

Au bout de longues minutes qu'elle avait passé à ruminer elle s'apprêtait à se lever quand le tintement de la sonnette retentit dans la maison silencieuse. Elle carillonnait sans discontinu lui enjoignant avec ferveur de se dépêcher.

Pourtant quand elle alla ouvrir la porte il n'y avait personne. La rue était déserte et les seuls mouvements étaient ceux des branches qui se balançaient avec force sous l'effet du vent violent qui faisait se soulever les feuilles mortes en une tornade rouge orangée.

Alors qu'elle s'apprêtait à refermer la porte, agacée d'avoir perdu son temps pour des plaisanteries puériles, car oui ce devait être assurément une de ces blagues de mauvais goût des enfants du quartier, elle vit le carton.

Il était plutôt grand pour un carton, enfin c'était l'impression qu'il lui donnait car elle n'avait aucune idée de la taille considéré comme moyenne pour ceux-ci, mais elle fut étonnée de ne pas l'avoir remarqué plutôt.

Cependant une chose, chez ce carton , la dérangeait. Une immense étiquette le barrait dans toute sa largeur mais ce n'était pas ça qui la perturbait le plus, c'était plutôt les mots qui s'y étalaient en grands caractères.

« Pour Mlle.Chloé Millers »

Tout d'abord parce qu'on ne l'avait pas appelé « mademoiselle » depuis son mariage avec Marc et que, dans la petite ville de Lezennes où ils avaient emménagé depuis, personne ne connaissait son nom de jeune fille. Pour tous elle était la respectable Mme.Brook femme du banquier de la ville.

Elle se souvint qu'avant elle l'adorait son nom. Il lui donnait l'impression d'être une de ces actrices américaines aux corps de rêves et aux cheveux dignes des plus grandes pubs de shampoing. Quand Marc l'avait demandé en mariage elle avait d'abord fermement refusé de s'en séparé puis, à coup de mots doux, de caresses et de promesses d'avenir radieux il l'avait convaincu et elle l'avait abandonné avec nostalgie.

Prise de panique elle se précipita au milieu de la rue et pivota sur ses talons à la recherche d'un éventuel intrus. Mais la seule présence vivante ici c'était elle.

En retournant à son palier elle jeta au colis un regard méfiant, hésitant à l'emporter à l'intérieur.

Mais, à la pensée que son mari en rentrant le trouve et que, contrairement à elle, n'hésite pas une seule seconde à y plonger ses grosses paluches dépourvu de toute délicatesse, elle se raidit.

Elle n'avait aucune envie que Marc aille fouiner dans ses affaires encore moins si elles concernaient de près ou de loin sa jeunesse.

Elle tenta de soulever le paquet mais elle ne parvient même à le décoller de quelque millimètres du sol. Alors elle le poussa, tira, le fit glisser tout en soufflant comme un bœuf jusqu'à son salon, bien trop grand selon elle pour la petite famille qu'ils formaient.

Elle se laissa tomber à ses côté et fut un peu triste de constater à quelle point elle était essoufflée juste parce qu'elle avait tiré un carton un peu lourd sur quelques mètres alors qu'avant elle aurait pu courir des kilomètres sans ressentir la moindre fatigue. Et elle n'avait que 28 ans.

Elle fut surprise par le brusque fracas de la pluie contre les vitres formant une délicieuse mélodie sur laquelle elle se laissa aller à balancer machinalement la tête.

Elle laissa son regard se perdre avec émerveillement dans le lent ballet de ces gouttes gracieuses qui coulaient paresseusement sur les carreaux, se croisaient, s'entrecroisaient, formant un labyrinthe complexe et excentrique.

Ce spectacle la fascinait presque au point de lui faire oublier son mystérieux colis sur lequel elle était avachie. Presque.

Elle avait pleinement conscience que si elle se laissait aussi facilement captiver par quelque chose de si banal c'était seulement parce que l'idée d'ouvrir ce paquet l'angoissait beaucoup plus qu'elle ne souhaiterait l'avouer.

Pas que ce spectacle ne soit pas beau. Il l'était pour les personnes sachant le regarder et en apprécier l'infime beauté. Mais Marc lui avait appris depuis longtemps maintenant à ne plus s'attarder de cette manière sur des choses aussi futiles.

Chloé était curieuse de nature, ainsi elle pris vite son courage à deux mains et alla chercher dans un des tiroirs de la cuisine un cutter afin de couper les larges bandes de Scotch qui empêchait le carton de s'ouvrir.

Mais elle suspendit son geste. Le Scotch... Elle n'en avait jamais vu de semblable. Il était noir, incroyablement épais et sa surface était faite dans une sorte de velours ou apparaissait en relief des volutes envoûtantes qui faisait pensé de manière troublante aux mouvements hypnotiques des vagues lors des plus grosses tempêtes.

Chloé se sentit coupable de massacrer de cette façon une œuvre d'art pareil bien que ce ne soit au fond rien d'autre qu'un bout de Scotchs.

Mais lorsqu'elle avait décidé quelque chose elle se détournait rarement de son but ainsi elle fendit d'un seul geste, toutefois légèrement tremblant, ce bout de Scotchs si atypique.

Se déversa alors autour d'elle, en une imitation très convaincante d'un puissant raz de marée, des photos, des objets, des bouts de papier, certains allant même jusqu'à rouler sous le canapé, coûteux, du séjour.

C'était comme si on déroulait devant ses yeux la pellicule de sa vie et qu'on la lui passait à toute vitesse.

Il y avait tant de couleurs, de détails qu'elle ne savait plus où poser les yeux.

Son souffle se coupa à la vue de toutes ces choses, ces souvenirs, qu'elle pensait avoir définitivement banni de sa mémoire.

Il lui fallut un moment, pour reprendre son calme et osé enfin toucher du bout des doigts ces années de vie qui l'entourait. Elle les déplaçait sur le côté en découvrant d'autre encore, toujours plus de souvenirs remontant à la surface.

Puis elle vit la photo.



Voila, j'entame une nouvelle histoire. Je l'a trouve vraiment différente de celles que j'avais l'habitude d'écrire avant.

En tout cas j'espère qu'elle vous plaira.

S.

Souviens-toiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant