Station 2.L'Amphi, 1993

73 6 2
                                    


2.L'Amphi, 1993

Je sais que je devrais ouvrir les yeux, me redresser et prêter attention aux conneries qu'elle me raconte, mais je suis tellement fatigué que je n'ai même pas la force de lui montrer mon plus long doigt. La nuit blanche dans le métro, ça me semblait une bonne idée au début, "ça fera une annecdote pour mes gosses" je me disais. Résultat, je ne suis pas changé et je pue la clope...Quoique ça c'est habituel. Oh bordel..Voilà qu'elle m'accuse de l'avoir trompée maintenant. La bonne blague ! Mais retourne donc te faire trousser par ton S et laisse moi pioncer peinard... VICTOIRE ! Elle a abandonné et changé de place. Je vais enfin pouvoir me concentrer avec bonheur et délectation sur mon repos et jouir d'une entrevue privée avec Morphée...

" Ben alors mon Juju ? Tu t'es perdu sur le chemin de ton lit ?"

POURQUOI. J'ouvre un œil timide et entreprends de détailler le spécimen qui me fait face : Une Héléna des bois ,manifestement en pleine forme et à l'humour, comme toujours, "décapant". Tiens, elle est passée chez le coiffeur. Depuis le lycée, elle m'agace prodigieusement avec ses blagues pas drôles, et son allure de petit chef. Bosser avec elle en groupe revient surtout à essayer de se contrôler pour s'empêcher de l'éventrer devant toute la classe. Un jour, un gars très doué en dessin, charismatique et distingué (et très modeste) l'a dessinée en Hitler sur le tableau de la classe...Le pauvre Castiel s'en est pris plein la tête pendant tout le trimestre pour pas un rond.

Bon dieu, que j'aimerais la pousser dans une piscine de quiches lorraines, celle là... Elle y aurait sa place. Je tente d'imiter le type de la pub Colgate et lui répond :

"Exactement. Alors si tu veux bien me laisser récupérer en paix et bouger ton cul de ma table ?

- Tu peux toujours crever"Grand sourire carnassier. Un jour, elle va buter quelqu'un c'est sûr. J'espère juste que ce ne sera pas moi, même s'il y a des chances.

"Allez Héléna, laisse le crever, justement."

Cette voix virile, assurée. ARNI-CHOU ! MON SAUVEUR ! La connasse décolorée bougonne quelque chose qui comprends les mots "fourrer" et "nonne" avant d'enfin dégager son séant et d'aller le promener ailleurs. Mon Arnaud national s'avachit à côté de moi.

"J'peux savoir où tu étais, tête de gland ?

- Joli pléonasme,ma prune. Je me suis paumé dans le tube."

Il me traite de champion et réclame des détails que je ne lui donne que quelques heures plus tard, le cours -et donc ma sieste- ayant commencé.

J'en viens à repenser à cette nuit. Ce mec devait être sacrément barré pour s'être teint les cheveux de la même couleur que ses yeux. Yeux qu'il avait verts pomme. Ils étaient putain de clairs c'était pas humain, bordel. Une apparition. C'est ça, j'ai dû rêver éveillé. Mais ça voudrait dire que j'ai déblatéré tout seul à haute voix pendant toute la nuit... Non, il était réel. Je vais pas douter de ma santé mentale non mais oh. Mais ces yeux putain. Pendant toute ma sieste ils m'ont hanté. Je me serais cru dans La Caverne de la Rose d'Or ! Le dragon, le chevalier sexy et Romualdo en moins, évidemment. Pendant que je m'repasse le film de ma soirée, Arnouche me fait la leçon sur mon comportement d'hier soir, et piah piah piah. Quand est-ce qu'il va enfin comprendre que j'ai pas envie d'en causer avec lui , bordel de merde ?

"Écoute mon chou, tu sais que j't'adore, tu sais que tu m'adores, alors par pitié, ferme là, j'ai vraiment aucune envie d'y penser pour le moment.

- Comme tu veux. Mais il faudra bien que tu lui en parles un jour où l'autre tu sais."

Le pire c'est qu'il a raison, et que je le sais. Alors que l'Amphi se vide lentement, il change de sujet, me propose de regarder Labyrinth ce soir. Je gueule ma joie et mon amour pour ce film en signe d'acceptation. J'adore les films de Jim Henson... Beaucoup de fantasy, un soupçon de romance (SI C'EN EST ! ) et des persos juste excellents. Et surtout, dans celui-ci : DAVID BOWIE MA COUILLE ! DAVID BOWIE ! L'AMOUR DE MA WIE ! Et les chansons quoi. Vous pouvez pas me dire que pendant As the world falls down, si il se joue d'elle au début, il ne finit pas par en tomber amoureux !

J'ai beau avoir une vision extrêmement pessimiste de l'amour (Merci qui ?) je suis un amoureux des comédies Romantiques. C'est bien un gros secret honteux, ça. Des mecs se sont faits traiter de tafioles et caser la gueule pour moins que ça.. Je sais pas ce qu'il m'a pris de révéler à ce mec, hier soir, que j'avais chialé comme une petite merde devant Edward aux mains d'Argent, La Belle et la Bête et Les Liaisons Dangereuses...Je suis sensible putain.

La Belle et la Bête... Ça représente bien notre couple, à Clémence et moi. Après, il faut définir les rôles. Hah. Je suis vilain. Mesquin. C'est moi la Belle, indéniablement. Ou la Bête... Bête de Sexe, of course. Comme dirait Gotainer : "Dans les yeux j'ai une lueur salace". Pour me décrire en 3 mots : Julien, Puceau, EtC'estBienPartiPourDurer. Oui j'ai une copine. Oui elle préfère les musclors. Non je ne sais pas ce que je fous encore avec elle. Je sais parfaitement qu'elle me trompe. Mais je l'aime. Je crois. Quand je l'ai vue pour la première fois, je me suis dit qu'elle était super belle. Et avec ça, elle était drôle. Et pas si conne. Et visiblement intéressée par ma minable personne. Mon cœur battait à tout rompre. J'ai cru qu'il allait sortir de ma cage thoracique dans un cri de passion déchirant.

Je tire sur ma cigarette. Je sais que je devrais arrêter. Je sais que je risque d'en crever. Mais je m'en fous, à vrai dire. Ma santé, elle n'est plus à ça près. Clope au bec, je rejoins Arnaud hors de l'Amphi.

Métro.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant