Station 1.Le Métro, 1993.

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Le Métro,1993.

Mes cheveux fraîchement teints s'ornent de reflets turquoises sous la lumière artificielle des néons. Je suis officiellement perdu. Le métro se vide peu à peu, les travailleurs sont remplacés par une toute autre faune. La nuit est encore jeune... Cela doit bien faire deux heures que j'erre dans ces couloirs. Je n'ose pas demander mon chemin à quiconque, les travailleurs ont l'air pressés de rentrer chez eux, et de toute façon, je suis bien trop fier pour mendier de l'aide. Je suis venu ici pour faire mes preuves, je les ferai ! Un instant, je suis tenté d'imiter un des personnages de "Subway" et sauter sous les rails pour accéder aux galeries internes de ce monstre souterrain, mais je reviens à la réalité : J'ai déjà le sens de l'orientation d'une moule dans un état végétatif, autant ne pas empirer la chose... Je m'imagine soudain, armé de super-pouvoirs , m'envoler à travers ces couches de béton et d'asphalte, m'en sortir sans aucun dégât...Arriver frais et réveillé, comme une fleur à ce boulot que j'ai eu un mal fou à me dégoter , bordel, faire une première journée d'enfer, rentrer à l'appart que je partage avec mon amûr de meilleur ami qui me ferait l'éloge des bombes parisiennes aux atouts indiscutables qu'il aurait eu le plaisir de reluquer pendant ses "cours". Puis au bout de quelques jours, je rencontrerais mon âme sœur, un peu comme dans "Avant de voir ses yeux" et sa suite, "Youpi c'est l'été pour la vie". J'ai toujours eu des goûts musicaux douteux, Romarin n'a jamais cessé de me le rabâcher. Malgré son côté dragueur impulsif aux milles conquêtes, il est comme un frère pour moi. Il agit comme s'il voulait juste coucher avec toutes les filles qu'il croise... Mais c'est plus profond que ça, c'est une façade. Je crois que c'est comme ça qu'on est devenus amis. J'ai le chic pour voir ce qu'on ne voit pas et ce que l'on est sensé cacher. Ça en revanche, je n'en suis pas très fier. On peut y ajouter mon côté un poil trop autoritaire (Chef militaire... Encore un métier que j'aurais pu faire.) et ma promptitude à l'énervement. Je crie beaucoup aussi. J'aime bien crier. C'est pratique. Après avoir gueulé pendant deux jours sur ton abruti de stagiaire pas foutu de rempoter correctement un pied de primevères après la centième démonstration, non seulement, t'es sûr qu'il a compris, mais en plus tu n'as même plus besoin de parler - de toute façon tu peux plus, t'as la voix cassée- de simples gestes suffisent ! À ce souvenir , je laisse échapper un gloussement. Ce pauvre stagiaire... Traumatisé à vie, le gamin. Mon père m'avait passé un sacré savon...

Une odeur de clope assaillit mes poumons. Pouah... Mais quel connard pense à fumer dans un endroit comme ça ?! Le dit-connard me regarde avec des yeux de Toons. Ses cheveux sont roux, trop roux. On dirait qu'il s'est coiffé avec un bâton de TNT; quelques mèches tombent sur son front. Malgré le froid polaire qui règne à la surface, il est en chemise remontée aux trois quarts, col défait, bretelles noires et jean clair. D'accord, la capitale et "Cloizy les prés" c'est pas pareil. Au moins, le mec porte des bottes...Des Rangers. Bon, on va dire que ça marche pour la saison. Il fait un mètre soixante-neuf à tout casser...

"C'est bon, t'as fini de me détailler ?"

Oh. J'avais pas remarqué. Je plonge mes yeux dans les siens et son expression change du tout au tout. Ils sont brun clair , relativement communs en quelque sorte,voire ocre. Les néons bleutés se reflètent dans ces orbes banales, et c'est magnifique. Ses traits sont assez jeunes, ça m'intrigue.

" Désolé d'interrompre ta pause nicotine, mais qu'est ce qu'un gamin comme toi fout dans le métro à une heure pareille ?"

"P'tain mais c'est pas vrai ! Je fais si jeune que ça bordel de merde ? J'ai 22 ans putain de chier !

Ouille. Mes oreilles. Il fume et il jure comme un charretier ? Avec ses cheveux roux qui n'arrange rien, on dirait l'incarnation du diable. VADE RETRO SATANAS ! C'est possible de caser autant de gros mots en si peu de mots ? Il a mon âge pourtant.

"Si tu veux tout savoir, ma couille, j'me suis échappé du mariage de l'être le plus vil de l'univers. Et toi ? Qu'est ce que tu glandes dans c'te bourbier en pleine nuit ? "

"Ma couille" ? Tu démarres mal, mon coco. J'suis pas ta couille. Il doit être bourré c'est pas possible. Ou défoncé. Ou les deux ? Mon expression a dû me trahir, car il éclate de rire et m'assure immédiatement qu'il n'a rien pris, qu'il est tout à fait sobre. Mouais. C'est ce que me sort Romarin à chaque fois que je le sors ivre mort d'un bar et qu'il finit la soirée la tête dans les chiottes.

" Je m'suis paumé."

" C'est pas de chance ça. Vu que j'suis perdu aussi, tu vas devoir me supporter jusqu'à ce que quelqu'un nous trouve ! s'écrie t-il avec un grand sourire.

Il est sérieux ? Il a l'air sérieux. Oh shit. Il se laisse glisser contre le mur, m'adresse un regard et tapote le sol près de lui, m'invitant à m'asseoir. Je soupire et m'exécute.

" Alors, ma poule, qu'est ce qui t'amène à Paname ?"

" Comment tu..."

" Ça crève les yeux, tu te baladerais avec une bannière "Coucou je viens de la campagne" qu'on verrait pas la différence. "

Je ronchonne, et finis par lui raconter. Mon boulot dans une pépinière, mon fantastique fantasme sur demain (Aujourd'hui ?), ma passion pour les plantes et ma haine des bagnoles. Il n'y a rien de pire qu'une rue empuantie d'effluves de gas-oil et de pots d'échappement !

Il m'avoue qu'il est passionné de cinéma, et surtout de comédies romantiques. Il s'attendait à ce que je me moque. J'adore décevoir les attentes des gens en ce qui concerne ma personne. Il est en cursus de lettres en fac. Je lui demande s'il a vu "Le Silence des Agneaux" et il imite le feulement d'un chat en fronçant ses sourcils.

" Quoi j'te défrise ? Tes sourcils sont tellement froncés je suis sûr qu'tu pourras plus jamais les décoller, ils vont s'emmêler et on va devoir te les raser."

Il écarquille les yeux, gonfle ses joues puis éclate d'un rire sonore qui résonne sur les murs du couloir. Sa voix est éraillée, comme celle d'un rossignol à la voix cassée. Une sirène à la gorge enrouée chantant tant bien que mal sa mélodie.

" C'est pas ça... Après avoir vu ce film, j'ai pas pu aller pisser seul pendant trois plombes tellement j'avais peur qu'Hannibal le cannibale me bouffe la gueule."

" La queue plutôt non ? Tu avais peur qu'il soit planqué où ? Dans la cuvette ?"

Nous rions toute la nuit comme ça, apprenant de chacun. Il a une petite copine, Clémence, qui se tape un mec du cursus scientifique. "Saloperie de matheux. Jamais pu le supporter de toute façon. En plus il est trop musclé. Sérieux, c'est moche une montagne de muscles ! T'es pas d'accord ?" J'acquiesce avec un sourire. C'est vrai que lui, il est plutôt du style allumette, gringalet. Le genre que même moi je casse avec mon petit doigt. Et je suis loin d'être Schwarzie.

Les gens commencent à affluer. Le moment est donc venu de se quitter.

" Bon, ben va falloir se dire adieu ma poule. Ce sera au plaisir de se revoir !"

Je sens un pincement bizarre au cœur, et sans comprendre ce que je fais, j'attrape son bras.

"Attends ! Comment tu t'appelles ? "

Il sourit, me regarde dans les yeux et me balance :

"Julien Montrand !"

Et il se tire en courant. Julien, le nain en rangers.

Suivant le flot de gens; je sors du métro, attaquant par la même ma "triomphante " première journée dans la capitale.

Métro.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant