Mon Océan

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Je fais partie de ceux que l'on ne remarque pas. Je suis avec les autres comme l'océan est avec les Hommes. Si je me sens observée, je me voile de brume, et disparais. Ils me regardent et voient ma surface, mais il leur suffit de me frôler pour que je me trouble, et devienne insondable. Ils tentent de comprendre, mais ils n'en sont capables que si je le veux. Les secrets qu'ils découvrent peuvent leur paraître importants, mais ils ne se demandent pas pourquoi, dans ce cas, je les échoue sous leurs regards, telle une Dame sur une plage. Je suis pour eux une énigme, et la nature humaine les pousse à tenter de me comprendre. Mes secrets sont découverts si je le permet. Quiconque croit me connaître est plus loin de la vérité que tous les autres qui me cherchent encore. Les moins aguerris trempent péniblement leurs membres dans mon océan. Les autres barbotent au large, cherchant à plonger vers le fond, sans comprendre la force mystérieuse qui les retient à la surface. Cette force, je suis la seule à pouvoir la contrer. Aujourd'hui, je vais vous emmener à quatre mille mètres sous mon océan.Je m'appelle Charlie. Il y a deux jours, montre en main, je pensais que mes amies n'avaient pas besoin de connaître mes secrets. Je pensais pouvoir tout régler seule. Pour elles, j'étais la fille sur qui on s'appuyait, la fille sans problème, qui est là en cas de coup dur. Moi, en cas de coup dur, je pensais devoir faire face, seule. Je pensais ne pas avoir besoin d'aide. Un jour, un gars de ma classe m'a posé une question. Je ne me rappelle plus du contexte, mais le sens était clair : "As-tu vraiment des amies ?" Quand il m'a demandé ça, une faille s'est ouverte dans ma tête, une faille dans la barrière infranchissable que j'avais crée pour me protéger de mes tristesses. J'ai eu envie de le frapper. C'était faux, je savais bien que c'était faux ! Mais il a instauré un doute. Il a fait éclater une tempête dans mon océan. Cette tempête a débordé dans les villes côtières. J'ai pleuré. Devant tout le monde, dans la cour, à la fin de la pause midi. Immédiatement, mes amies sont venues, elles m'ont consolée. Un gars que j'aime bien a acquiescé devant les arguments des filles. Après toute la journée, il a essayé de me faire sourire. Mais il y avait un manque. Une de mes amies, Dena, n'était pas là. Et ce manque était comme une pique dans ma poitrine.Malgré cette preuve flagrante d'amitié, j'ai gardé mes digues. Je ne voulais pas les noyer dans mes sentiments, j'avais aussi peur de leur réaction. Je me suis sentie lâche. Un soir, j'ai envoyé un mail à Dena, celle qui avait été absente, quand les autres m'avaient consolée. Dena est un peu comme moi, silencieuse sur ses problèmes. Mais tandis que je les cache derrières des blagues, elle les cache en écrivant. Elle est plus discrète, et c'est celle en laquelle j'ai le plus confiance. Ce mail résumait ce que je vous ai dit au-dessus. Que je me sentais mal, et que en discutant avec elles, j'avais un sentiment de superficialité. Elle m'a répondu. Je l'avais étonnée. Elle n'avait pas l'impression que j'allais mal. Pour moi, ç'a été une preuve de mes talents de masquage. On a discuté, et j'ai soulagé ma peine; J'ai rompu mes digues, et déversé mes eaux de tristesses sur elle. Je lui ai dit : «Les filles se reposent trop sur moi, et j'ai déjà du poids dans le dos, du coup, je coule. Sauf que contrairement aux autres, qui crieraient au secours, je dis rien. Et je laisse faire. Mais toi, t'es sur le bateau, à côté, et tu me lances des signaux pour me faire remonter.» Alors elle m'a enlevé un poids immense. Je ne la remercierai jamais assez. Elle m'a répondu : «Ça me fait vraiment plaisir que tu me penses capable de comprendre. Mais c'est leur faute, ma faute, notre faute. Parce qu'on ne se comporte pas de manière à ce que tu puisses te laisser aller, à ce que tu puisses te confier sans barrière. Parce qu'on n'a pas réussi à te faire te sentir assez bien pour que tu puisses nous expliquer tout ça.»Ce soir, je me sens plus... Libre, légère. Encore, je remercie Dena.Ce soir, mon océan accueille, dans ses abysses, deux jeunes filles, venues explorer des contrées encore inconnues.Car, au lieu de le forcer à les dévoiler, elles ont attendu qu'il vienne vers elle. Il n'a pas, cette fois, échoué une Dame sur une plage. Il a attiré deux exploratrices.

Inspirations d'OutrepenséeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant