Deuxième lettre

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  Ma mère entra sans toquer et sans sourire dans ma chambre. Je levai les yeux de mon ordinateur pour la regarder dans les yeux. Yeux bleus et profonds dont j'avais hérité. Elle tenait une lettre dans ses mains. Mon cœur s'emballa un peu. Elle me dit sans joie, sans émotions :

  << Une lettre. Y a pas d'expéditeur, mais c'est à ton nom. Si c'est ton père dis le moi.

  - J'pense pas, mais merci. >>

  J'attendis qu'elle sorte pour ouvrir la lettre. L'écriture rouge sang me choqua. Je la posai sur mon PC et commençai la lecture.

  Chère Neala,

  Je t'écris ceci  pour te répondre. Tu veux découvrir pourquoi mes relations avec ta mère sont si mauvaises. Elle m'en veut. Je ne peux pas te dire pourquoi  maintenant. Mais je peux te raconter mon histoire. A une condition. Parle-moi de ta vie. Et j'accepte. Mais je peux commencer à te raconter mon  histoire.

  Je suis l'aînée de la famille. Ta mère est née quand j'avais trois ans. Puis, deux ans plus tard, notre frère. Ton oncle donc. On se parle de temps en temps mais peu. Il digère mal ce que j'ai fait, mais il l'accepte. Il accepte mon état. Je ne sais pas si tu le connais. Je ne sais pas si ta mère l'accepte. Ensuite, il n'y a pas grand chose à dire sur la famille.

Alors, quand j'ai eu dix ans, j'ai commencé à me sentir différente. Mon frère et ma sœur sont devenus de plus en plus proches, me faisant sentir mal, seule. Et ça n'a été que la première étape de mon malheur, et du leur. Mais à l'époque, ils ne savaient pas encore qu'en faisant ça, ils étaient en train de me détruire. J'aimerais pouvoir aujourd'hui changer les choses. Je regrette ce que j'ai fait, je regrette ce qu'ils ont fait. Parce que c'est autant de ma faute que de la leur. Bref, nous sommes tous coupables.

Une fois rentrée au collège, ils m'ont tous les deux laissé tomber. J'étais rejetée au collège, parce que je ne connaissais personne et les gens ne m'acceptaient pas. Et dès que je rentrais chez moi, j'espérais avoir du réconfort, mais non, je n'avais rien. Ils jouaient ensembles en me laissant seule et abandonnée. Les parents essayaient de faire des efforts mais ils devaient s'occuper de mon petit frère. En effet, celui-ci n'avait que cinq ans. Mais je pense toujours que j'aurais mérité plus d'attention. Je suis donc restée seule, sans me plaindre. Sans jamais faire remarquer quelque chose. J'étais une sorte de victime. Alors j'ai essayé de trouver quelqu'un pour me rassurer. Une personne aussi différente que moi qui apprécierait avoir quelqu'un à qui parler. Mais au collège, la plupart du temps, les gens qui sont seuls le décident. Pas moi... Tu ne peux comprendre ma solitude à ce moment. De longues années tristes et ennuyeuses. J'ai commencé à décrocher. Mes notes ont baissé de manière spectaculaire. Les profs se sont-ils rendu compte de quelque chose. Non. Aussi simple que cela. Ils ne faisaient pas attention à moi.

Puis l'enfer à réellement commencé. Est-ce possible ? Je me le suis demandé quand ç'a commencé. Apparemment. Je pensais qu'être rejetée était le pire chose qui puisse exister. Quelle erreur. La pire des choses,c'est d'être ignorée. D'être inexistante. Je suis devenue transparente. A cause de qui, à cause de quoi, je ne sais pas. Ce que je sais, c'est que ç'a été un des pires moments de ma vie.

On m'oubliai à l'appel le matin.

On ne me donnait pas à manger. Il fallait que je redemande.

On me bousculait dans les couloirs parce que personne ne remarquait ma présence.

On m'oubliait parce que je n'avais pas anticipé cela.

Je me suis alors renfermée sur moi-même, au lieu de me battre, de tout faire pour que je redevienne quelqu'un. Je ne voulais plus d'existence, ça ne m'intéressait plus de vivre, d'exister. Si jamais tu es dans cette situation, ne te laisse pas abattre. Tu ne peux pas savoir à quel point j'ai souffert. Je croyais que mon cœur meurtri ne pouvait plus rien ressentir tellement il avait déjà souffert. J'aurais aimé.

  Puis, je suis passée au lycée et mon frère et ma sœur n'y étaient pas. J'étais enfin libre. Mais personne ne me connaissait. Et j'avais fait une phobie scolaire. J'étais terrifiée à l'idée de me lier aux autres. En leur confiant mon amitié, ma confiance, je confiais aussi le moyen de me détruire. Mais j'étais plus mature, plus forte. Je ne me laisserais pas détruire à nouveau.

  Je ne te donnerai ni mon amitié ni rien d'autre tant que je ne serai pas sûre que tu ne veux pas me détruire toi aussi,

  Bonne chance,

                                 Ta tante.


Il était temps de donner ma réponse.

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